2022/06/18

Appendice: Michel Zevaco

 


Michel Zevaco fut sans aucun doute un des plus grands romanciers du 19ème siècle. "Les amants de Venise" est à mon avis son chef d'oeuvre ! Et pratiquement tous ses romans sont des épopées qui vous transportent dans un monde révolu où l'Homme tenait la première place au naturel, sans artifices, sans détours. Naïveté, vengeance, passion, foi, fidélité, trahison, l'homme ne se cachait pas à ces époques derrière des apparences trompeuses, derrière des renoncement à sa nature, bonne ou mauvaise. Ce n'était que quelques centaines d'années auparavant et pourtant, ces univers paraissent plus anciens que la terre des dinausores ...

Lisez "La jeunesse du Roi Henri" de Ponson du Terrail (le meilleur des romancier !), "Le Juif errant" d'Eugène Sue, "Le bossu" (Lagardère) et Madame Gil Blas de Paul Féval et tant d'autres ... 

Le bon endroit où télécharger ces perles de la littérature en PDF gratuits et 'légers' est sans doute cet excellent site: Ebooks libres et gratuits.

Ah ! Lisez tous ces grands maîtres de l'écriture, de l'imagination, de la poésie et du coeur !!

 Voici une liste partielle de tous ces auteurs qui, en plus des trois précédemment cités, d'Alexandre Dumas et d'Honoré de Balzac, valent plus que le détour !!


Fortuné du Boisgobey

Pierre Zaccone

Frédéric Soulié

Emile Richebourg

Molé-Gentilhomme

Alfred Assolant

Ernest Capendu

Eugène Chavette

Emile Gaboriau

Emmanuel Gonzalès

Jules Lermina

Léon Gozlan

Joseph Méry

Jules Mary

Gabriel de La Landelle

Constant Guéroult

...

(nb: les auteurs ne se trouvant pas à Ebooks libres et gratuits sont sur Gallica)


Extraits de Michel Zevaco, L’hôtel Saint Pol


Le roi (Charles VI) songeait.

– Lourde... combien lourde ! Est-ce de l’or ? Est-ce du fer ? Qu’importe, c’est un métal sournois et lâche qui vous rafraîchit d’abord le front, pour se mettre ensuite à le serrer jusqu’à faire éclater la tête. Pourquoi une couronne, « à moi » et non à d’autres ? Quel mal ai-je fait pour être condamné à la couronne ?

Il se mit à trembler. Le frisson glacial de la crise courut le long de son échine. Il résistait pourtant, essayait encore de vaguement diriger sa pensée insurgée.

Et tout à coup, il fut debout, écumant, et hurla :

– Pourquoi une couronne à moi et non à vous ?

Ce fut un coup de tonnerre dominant le tumulte d’une bataille. Il y eut dans la salle immense, où l’orgie battait à tous les angles ses ailes de flamme, le silence morne et stupéfait de fous brusquement ramenés à la raison. Et la sensation fut inoubliable, sinistre, macabre, – la sensation que tous ces êtres raisonnables, hommes, femmes, princes, ducs, capitaines, c’étaient des fous, et que lui, le fou, c’était, dans cette assemblée de délire, le seul être raisonnable.

La voix du fou, comme un grand courant d’air pur, balayait l’ivresse. Il reprit :

– Et pourquoi des couronnes ? Qui est le maître ? Est-ce moi ? Est-ce vous ? Personne n’est maître ! Je le sais et les fantômes de mes nuits me l’ont dit. Maîtres ! dit-il avec un rire strident. Maîtres de quoi ? De qui ? Et qui a décrété que quelqu’un serait maître ? Parlez, je veux savoir ! Vous vous taisez, Bourgogne ! Berry ! Orléans ! Vous tous qui voulez être les maîtres, vous ne pouvez dire pourquoi vous le seriez ! Par Notre-Dame et les saints, c’est à mourir de rire, avortons !... Chiens rampants, vous prétendez vous imposer à l’admiration des hommes ! Vous aurez seulement leur haine, et si vous saviez en quel océan de mépris vous vous débattez, vous auriez pitié de vous-mêmes !

La voix du Roi-Fou tonnait. Il ne savait ce qu’il disait. Les paroles jaillissaient de ses lèvres brûlantes, sans qu’il en comprît le sens, comme autrefois, dans le temple sacré du Delphicus, parlait l’oracle délirant.

La masse énorme des gentilshommes écoutait sans comprendre. Mais la voix rauque, rude, puissante, leur secouait le coeur.

– Alors, avortons, il vous faut la puissance ? Vraiment ! C’est à mourir de rire, de voir vos mines confites quand vous parlez du pouvoir, de la puissance et de la nécessité de diriger les hommes, et de vos nobles ambitions, sacripants ! Alors, vraiment, vous éprouvez, vous dites que vous éprouvez le besoin de dominer, d’être vus de loin, et vous vous criez à vous-mêmes que c’est là une grande joie, une belle satisfaction !

Vous mentez, chiens ! Vous n’avez même pas cela dans le ventre. Si c’est cela que vous avez, pourquoi vous et non pas d’autres ? C’est donc la guerre d’homme à homme, au poignard, au poison, à la hache, à l’échafaud, à la corde, à la calomnie, à toutes armes ? Mais non, sacripants !

Ce qui vous mène, c’est l’orgie. Ce qui vous tourmente, mendiants de jouissances Je vous dis que c’est à mourir de rire, voleurs, truands ! Je vois les peuples, troupeaux immenses cherchant où paître un peu de bonheur. Où est l’herbe du bonheur ? Cherchez-la, peuples stupides. Par pitié, par mépris, vous vous laissez voler un peu de puissance, un peu d’argent, et vous haussez les épaules devant vos maîtres... moi je fais mieux, je leur donne ma couronne !

D’un geste frénétique, il arracha la couronne de sa tête, la souleva très haut, dans ses deux mains. Son visage convulsé fit reculer la foule, et son rire glaça les plus braves. Il vociféra :

– Je n’en veux plus ! Qui la veut ! Ramasse, mon frère ! Ramasse, mon oncle ! Ramasse, mon cousin ! Ramassez, sacripants ! À plat ventre, mendiants de pouvoir ! C’est moi le peuple de France ! Tenez, prenez, mangez, buvez, gorgez-vous, pauvres mendiants de puissance ! Prenez !

Voici la couronne, je n’en veux pas !

Le Fou laissa tomber sur l’estrade le royal diadème et d’un rude coup de pied, l’envoya au loin devant lui. La couronne bondit, ricocha, roula. Les groupes affolés s’écartèrent en reflux violents et stupides, virent passer parmi eux ce bolide brillant qui était l’emblème du pouvoir, qui alla se heurter au pied d’une colonne de granit surmontée d’un satyre ricanant, et s’y brisa.

En même temps, Charles tombait à la renverse dans son fauteuil en râlant :

– Regardez mourir le peuple !...

Ses yeux se révulsèrent. Ses genoux s’entrechoquèrent. Il claqua des dents.

– Ils me tuent ! Ils m’égorgent ! Ils boivent mon sang ! Regardez-moi mourir !... Il eut un grand cri déchirant, ses bras se tordirent ; du fauteuil, il tomba sur le tapis de l’estrade, et l’on n’entendit plus que ses grognements funèbres, on ne vit plus que ses gestes frénétiques simulant dans le vide une lutte effroyable contre les mendiants du pouvoir qu’évoquait sa vision...

(…)

 

Ce matin-là le vénérable père Ignace de Loyola eut une conférence avec le comte de Monclar, grand prévôt de Paris.

Il y avait de l’inquisiteur dans l’âme de Monclar. Il y avait du policier dans l’âme de Loyola et c’est pour cela que tous deux semblaient si bien s’entendre durant leur entretien.

– Ce Dolet, disait Loyola, est une vraie plaie pour votre beau pays de France…

– Hélas, vénérable père, le roi est faible parfois !

– Oui ! Oui ! Il veut jouer au savant, au poète… Comme si les rois devaient être autre chose que la main de fer appesantie par Dieu sur les peuples ! Les peuples, mon cher monsieur de Monclar, ont une tendance néfaste à la rébellion contre notre sainte autorité, les rois doivent être nos agents… ou sinon nous briserons les rois eux-mêmes ! …

(...)



– Loyola, reprit-il (Dolet), est un de ces hommes fameux qui impriment sur l’humanité la marque indélébile de leur vouloir.

Seulement, ce qu’ils veulent, c’est leur propre glorification, et non le bonheur commun. Ce sont ces hommes qui arrêtent, durant des siècles, la marche de la vérité ou la font dévier…

L’humanité va vers un idéal si lointain, si profond qu’à peine on l’ose concevoir. Par moment, elle ressent un choc, puis, quand la secousse est finie, elle passe, croyant que la route est toujours droite devant elle… Elle a dévié… l’écart, faible au départ, devient immense au bout de cinquante ans, de cent ans… Et alors, il faut une révolution dans les esprits et les moeurs pour que l’humanité rejoigne sa route… Oui, certes, ce Loyola est un fléau semblable à ces grands tueurs. Il tue à sa façon. Ce qu’il y a de terrible en lui, c’est qu’il ne veut pas tuer seulement le corps, c’est l’esprit qu’il veut atteindre…

(…)

 

 

« Ceci est ma dernière pensée.

« C’est le dernier effort d’un esprit qui va bientôt s’éteindre.

« Peut-être ces lignes tomberont-elles plus tard sous les yeux d’hommes justes.

« Peut-être ce papier va-t-il être détruit.

« Je ne veux songer qu’à la possibilité d’être lu plus tard.

 « C’est donc du seuil de la tombe que je parle aux hommes, et j’ai pour tribune un bûcher.

« Je vais être brûlé ! Brûlé vif !

« Ce que ma chair va souffrir, je ne le sais.

« Je ne sais pas non plus quelles clameurs d’agonie s’échapperont de ma gorge alors que, délirant au milieu des tourbillons de flamme, je ne serai plus responsable de ma pensée.

« La vraie clameur du condamné est ici, sur ce parchemin.

« Voici donc ce que je souhaite :

« Je suis innocent de toute action mauvaise.

« Aussi loin que je regarde dans ma vie, avec le scrupule et l’angoisse d’un juge impartial, je n’y découvre aucun crime, aucune faute véritable.

« J’ai aimé les hommes, mes frères.

« J’ai tâché de leur montrer qu’il y a un flambeau pour les guider vers le bonheur à travers les ténèbres de la vie que nous vivons. Ce flambeau s’appelle : Science.

« J’ai fait en sorte de répandre le plus que j’ai pu de science, c’est-à-dire de lumière, afin de chasser le plus possible de ténèbres, c’est-à-dire d’ignorance.

« Je ne me suis pas détourné des moins fortunés que moi. Je n’ai pas montré un visage impitoyable aux fautes des autres.

« J’ai songé que le mot suprême de la sagesse humaine et l’aboutissement fatal de la science, de la pensée, de la vie, c’est l’indulgence.

« Une humanité où les hommes auraient pitié les uns des autres, où se développerait cette radieuse et magnifique pensée de fraternité que le Christ a entrevue, une humanité pareille aurait résolu le problème du paradis terrestre.

« Cependant, c’est la haine qui triomphe.

« Je ne veux ici accuser personne.

« Je dis seulement que l’esprit de domination engendre l’esprit de haine.

« Je dis que les dominateurs qui ont inventé le bûcher pour les hommes inaptes à la servitude sont l’obstacle qu’il faut écarter.

« Puisse-t-on me comprendre !

 « Puisse l’humanité apprendre à pénétrer dans sa propre pensée !

« Puissent les hommes arriver un jour à penser librement, c’est-à-dire sans que leur croyance, leur foi, leur pensée leur ait été imposée.

« Puisse la science remettre au creuset de l’analyse les croyances humaines qui nous sont transmises par les siècles barbares !

« En formulant ces souhaits, je ne crois pas passer les limites du droit humain.

« Je ne me crois pas en faute.

« Pourtant, c’est pour penser ce que j’écris, c’est pour avoir aimé la science, la lumière, pour avoir été le frère de mes frères que je vais être brûlé.

« Je voudrais qu’un jour un monument s’élevât à l’endroit même où je vais souffrir, et que sur ce monument, les jours de fête, les hommes enfin délivrés apportent quelque modeste offrande de fleurs, et qu’enfin le souvenir des iniquités présentes fût perpétué par cette simple parole que quelqu’un redirait aux foules, d’année en année :

« Ici, on a brûlé un homme parce qu’il aimait ses frères et prêchait l’indulgence et proclamait le bienfait de la science.

« Cela se passait du temps où il y avait des rois comme François, et des saints comme Ignace de Loyola. »

« Voilà ce que je souhaite.

« En foi de quoi, libre d’esprit et sain de corps, j’ai signé. »

Dolet signa.