2017/12/31

Le miroir, mode par défaut



... Aller, un ptit dernier pour 2017 !




L’homme a toujours cherché un Dieu et, faute d’en trouver un en chair et en os, il s’en est inventé autant que de déraison. Ce que l’homme cherche en ‘Son Dieu’ est bien plus qu’une référence universelle à Qui tout rapporter mais un conseiller, un acteur de sa vie, et un acteur efficace qu’on renvoie à ses pénates en cas d’échec. Et ils sont nombreux les échecs, et l’on est en permanence en colère contre ses Dieux autant que jaloux de ceux des autres qui réussissent … Aussi, faute de dieux efficaces, avec airbag et turbo, l’homme, en général et en particulier, se rabat sur le moins traître de ces Dieux légers comme l’air dont on les gonfle, lui-même. Après tout, l’homme est l’image de Dieu, n’est-il pas ?

Donc, de nos jours comme depuis toujours, le miroir est le principal Dieu du foyer, et de l’humanité. Tout est fait à son image, à sa propre image s’entend, et à son profit, à sa gloire, à sa réussite. Partant de là, tout ce qui n’est pas un regard sur soi, sur ‘son Dieu’ n’existe pas. La seule chose que les Nihilistes n’excluent pas, c’est eux-mêmes.  L’univers est au service des « Soimêmes », avec ses stations-services dorées, ses divertissements, ses jeux de rôle télévisuels, ses lieux de consommation devenus lieux de rencontre, c’est à dire de voyeurisme et de nombrilisme. Orwell et Huxley n’ont fait que caricaturer, que singulariser au futur ce qui est, de toute éternité, pour l’instant.

L’homme n’a qu’un regard et c’est le regard sur soi-même ; ses autres regards, qu’il risque souvent malgré lui, lui sont dépendants. Le miroir est le maître, le Dieu. Car l’homme est croyant, malgré lui. Il croit en lui faute de pouvoir, et de vouloir croire en autre chose. Mais il ne peut pas ne pas croire. Si le miroir est le mode par défaut de l’homme socialisé, la foi est celui de l’homme naturel, la foi que suscite l’espoir, l’espoir inné, l’espoir du mieux, du bien. Pour que l’homme sorte un jour de sa nasse, de son trou noir, il lui faut la foi, la vraie foi, celle qui est incorporée à la naissance de tout être vivant, la foi qui est le moteur de l’âme sans laquelle celle-ci ne peut aller en avant, ne peut vivre.

La ‘vraie foi’ de l’homme est celle du bien, et de son partage en tant que tous nous avons cette capacité qui est en même temps une réalisation, cette possibilité de faire du bien, ce joyau de l’espèce humaine. Faire du bien est la touche finale de l’évolution universelle, la cerise sur le gâteau du monde, la seule preuve que l’homme est un homme, et pas un kapo de sa race. Car il y a des traîtres, des traitrises, des mensonges bien plus que de tendresse et de partage, hein ? Bref, c’est pas le sujet. Donc, sans une foi commune et absolue qui ne peut venir que de l’intérieur de chacun pour pouvoir être partagée, l’homme restera à patauger isolé et perdu au milieu ‘des siens’ qui ne le sont pas, et à en crever, pour rien …

Heureusement que la foi soulève les montagnes car c’en est une plutôt pas petite que celle de l’état de l’humanité, peuchère !! Pour se retrouver, soi-même autant que l’autre, il faut se recentrer sur sa nature fondamentale, qui a tous les avantages, la nature humaine. L’individu n’est pas seulement Musulman, Juif, Bouddhiste, Américain, Indien, Chinois, Genevois mais plus que tout ça, plus qu’il ne peut imaginer, il est un homme, un être capable du bien, un Homme de Bien, une – véritable image de Dieu, pas la réflexion d’une image obscure, déformée, réductrice comme apparait dans le miroir celle de l’homme social, l’homme esclave du vide de sa nature qu’il a prétendu remplacer. Soit ignare, soit infâme, choisissez. Heureux animal qui dans le miroir ne voit que ce qui y est ! Conscience de la conscience, science à venir ? (et d’urgence svp). Africa ! Retourne à tes fétiches plutôt que d’adopter ceux des blancs ; au moins, c’était les tiens.



















2017/12/17

Santa famiglia




De la même façon qu’une assemblée d’hommes est du domaine de l’idée et non de la réalité, l’individu, l’être humain pris isolément et auquel on attribue un ensemble de fonctions, de droits et de devoirs, n’est qu’une image, une abstraction.

La métaphysique humaine oscille entre deux concepts. Les humains sont pris soit dans leur ensemble, soit isolément. Sur de telles bases chimériques, aucune réflexion si brillante soit-elle ne saurait accoucher d’une seule pensée valide, d’une seule théorie réelle. Seules des chimères naissent d’accouplements imaginaires que la nature n’a jamais créés.

Un être humain isolé n’existe pas, n’a jamais existé pas plus que les concepts qui prétendent légitimer des groupements de populations quels qu’ils soient. La base unique et inaltérable, la brique fondamentale de la société humaine est la famille, cette même famille qui s’est désagrégée au cours des cent dernières années (1917/2017).

Ce qui a fait le plus de tort à la famille n’est pas cependant le communisme mais son opposite, la religion. Tous les grands mouvements qui prétendent régir les peuples commencent par s’approprier le symbole de la famille, soit en la détruisant par divers moyens, soit en l’annexant. La famille n’existe dans la société que pour être subjuguée ou annihilée, au pire, décriée et abusée au mieux …

La majorité des drames humains naissent dans les familles du fait principalement du besoin de domination qu’elles permettent d’assouvir aux hommes abrutis et vils, tandis que celles qui sont fortes deviennent le noyau des dominations sociales. La famille dans l’histoire de l’homme n’a existé que pour son malheur, individuel et collectif …

Parce qu’elle n’a jamais été considérée comme ce qu’elle est, bien qu’on se serve d’elle pour lui faire jouer les rôles les plus néfastes, la famille est la planche de salut de l’humanité. Elle l’a été malgré les sévices dont elle a été la cause involontaire tant que les hommes ont vécu relativement isolément. Or, depuis cent ans, toujours, et c’est si peu, la famille se désintègre. La famille est la bouée de sauvetage de l’humanité si elle réussit à s’émanciper du dualisme réducteur individu, société.

Les trois symboles de la république française sont vides. La liberté n’existe pas car elle est bornée par celle de ses semblables et les conditions matérielles, l’égalité ne peut être que vis-à-vis de lois s’appliquant à un ensemble social et non à chaque individu et la fraternité n’est qu’un leurre sanglant. Par contre, ces mêmes concepts trouvent au sein de la famille naturelle leur lieu d’épanouissement et, faute d'être mis en oeuvre au sein de la famille, ils ne le seront nulle part !

On peut juger de la valeur d’une société en examinant la place qu’y tient la structure familiale. Si les avantages humains ne concernent que les individus ou leur ensemble réduit à ceux qui ‘réussissent’, comme ça a été toujours le cas, et qui paradent au sommet par la gloire, la richesse, le pouvoir, et jamais la famille en tant que telle, si les familles sont à la traine de l’essor individuel, comme en occident, ou du bien commun comme en Chine, la société humaine n’en est pas une mais un ramassis d’intérêts égoïstes ou un esclavage déguisé.

Si on emplit les symboles de sens concret, un seul mot les résume : amour, et amitié, tendresse, compassion, attention, respect … Ces valeurs sont précisément celles dont la famille constitue la structure idéale pour leur développement. Relations entre époux, entre parents et enfants et enfants entre eux sont fondées sur les critères les plus hauts de relations sociales. Chaque famille est un arbre de la forêt humaine à l’image des arbres généalogiques !

Quand vous apercevez un groupe d’animaux sauvages, il s’agit dans tous les cas d’une famille se composant de plusieurs générations qui ne se sont jamais quittées, qui se sont transmis le savoir, qui se sont entraidés. C’est l’exemple qu’il faut méditer. C’est la clé de la survie de l’humanité car l’homme avant que d’être un être social est un être naturel, ou plutôt, sa réussite sociale, sa pérennité n’existent que par la nature, par la famille, la « sainte famille » qui n’est ni l’illusion des chrétiens, ni le sérail afro-arabe, ni le despotisme oriental pour parler des sociétés où cette notion existe encore et qui d'ailleurs prennent le pas sur celle soi-disant plus avancée de l'occident.

Selon le critère de la famille, les seules sociétés qui ont 'réussi' sont les peuples 'primitifs' qui ont survécu ignorés de la folie mondiale au sein des forêts d'Amazonie ou d'Inde. La famille doit être la 'mesure sociale'. Ce qui est bon pour elle l'est aussi pour l'individu et la communauté.












Père ... une injure. Mère ... une obsénité: Brave New World ...

"Rien de tel que la pénurie d’oxygène pour maintenir un embryon au-dessous de la normale.
De nouveau, il se frotta les mains.

— Mais pourquoi voulez-vous maintenir l’embryon au-dessous de la normale ? demanda un étudiant ingénu.
— Quel âne ! dit le Directeur, rompant un long silence. Ne vous est-il jamais venu à l’idée qu’il faut à un embryon d’Epsilon un milieu d’Epsilon, aussi bien qu’une hérédité d’Epsilon ?

Cela ne lui était évidemment pas venu à l’idée. Il fut couvert de confusion.

— Plus la caste est basse, dit Mr. Foster, moins on donne d’oxygène. Le premier organe affecté, c’est le cerveau. Ensuite le squelette. À soixante-dix pour cent d’oxygène normal, on obtient des nains. À moins de soixante-dix pour cent, des monstres sans yeux.
— Lesquels ne sont absolument d’aucune utilité, dit Mr. Foster pour conclure. Tandis que (sa voix se fit confidentielle, avide d’exposer ce qu’il avait à dire) si l’on pouvait découvrir une technique pour réduire la durée de maturation, quel bienfait ce serait pour la société !
— Considérez le cheval.

Ils le considérèrent.

— Mûr à six ans ; l’éléphant à dix. Alors qu’à treize ans un homme n’est pas encore mûr sexuellement, et n’est adulte qu’à vingt ans. D’où, bien entendu, ce fruit du développement retardé : l’intelligence humaine.
— Mais chez les Epsilons, dit fort justement Mr. Foster, nous n’avons pas besoin d’intelligence humaine. On n’en a pas besoin, et on ne l’obtient pas."

Huxley, Meilleur des mondes




2017/12/03

Biribi




Extraits:

« Les femmes, le jeu, l’alcool, voilà les trois produits de notre civilisation avec lesquels nous faisons honte aux indigènes de leurs moeurs grossières et sauvages.

Quant aux enfants – aux mouchachous – ils donnent les plus belles espérances. Ils vous disent : « Et ta soeur ! » – en français – et vous taillent des basanes – en français. – On en trouve même qui commencent par parler argot ; qui ne savent pas dire : pain – mais qui disent : du gringle ; – qui ignorent la viande, mais qui connaissent la bidoche ; – voire même la barbaque. »

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« La discipline, c’est la peur. Il faut que le soldat ait plus peur de ce qui est derrière lui que de ce qui est devant lui ; il faut qu’il ait plus peur du peloton d’exécution que de l’ennemi qu’il a à combattre. »


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« Je ne dors pas. Je pense.

Je pense à cette armée que je vais quitter. Je l’envisage
froidement, laissant de côté toutes mes haines.
C’est une chose mauvaise. C’est une institution malsaine,
néfaste.

L’armée incarne la nation. L’histoire nous met ça dans la tête, de force, au moyen de toutes les tricheries, de tous les mensonges.
Drôle d’histoire que celle-là ! Dix anecdotes y résument un siècle, une gasconnade y remplit un règne. Batailles ! batailles ! Combats ! Elle a osé fourrer la Révolution dans la sabretache des généraux à plumets et jusque dans le chapeau de Bonaparte, comme elle a fait bouillir le grand mouvement des Communes qui précéda la bataille de Bouvines dans le chaudron où les marmitons de Philippe-Auguste ont écumé une soupe au vin. Elle prêche la haine des peuples, le respect du soudard, la sanctification de la guerre, la glorification du carnage…


Ah ! Mascarille ! toi qui voulais la mettre en madrigaux, l’Histoire !


Elle nous a donné le chauvinisme, cette histoire-là ; le chauvinisme, cette épidémie qui s’abat sur les masses et les pousse, affolées, à la recherche d’un dictateur.

L’armée incarne la nation ! Elle la diminue. Elle incarne la force brutale et aveugle, la force au service de celui qui sait lui plaire et – c’est triste à dire, mais c’est vrai – de celui qui peut la payer.
« Cela s’est fait, mais ne se fera plus. » Si, la blessure ne se guérira point. La gangrène y est.


L’armée, c’est le réceptacle de toutes les mauvaises passions, la sentine de tous les vices. Tout le monde vole, là-dedans, depuis le caporal d’ordinaire, depuis l’homme de corvée qui tient une anse du panier, jusqu’à l’intendant général, jusqu’au ministre. Ce qui se nomme gratte et rabiau en bas s’appelle en haut boni et pot-de-vin

Tout le monde s’y déteste, tout le monde s’y envie, tout le monde s’y torture, tout le monde s’y espionne, tout le monde s’y dénonce. Cela, au nom de soi-disant principes de discipline dégradante, de hiérarchie inutile. Avoir un grade, c’est avoir le droit de punir. Punir toujours, punir pour tout. De peines corporelles, naturellement ; celles-là seules sont en vigueur… Ah ! C’est triste qu’un bout de galon permette à un homme de mettre en prison son ennemi – ou de faire fusiller son camarade.


L’armée, c’est le cancer social, c’est la pieuvre dont les tentacules pompent le sang des peuples et dont ils devront couper les cent bras, à coups de hache, s’ils veulent vivre.

Ah ! Je sais bien : le patriotisme !… Le patriotisme n’a rien à faire avec l’armée, rien ; et ce serait grand bien, vraiment, s’il n’était plus l’apanage d’une caste, la chose d’une coterie, l’objet curieux que des escamoteurs ont caché dans leur gibecière, et qu’ils montrent de temps en temps, mystérieux et dignes, à la foule béante qui applaudit.

Ce sentiment-là, je crois, n’est pas forcément cousu au fond d’un pantalon rouge. Il y a peut-être autant de patriotisme dans l’écrasement banal d’un maçon qui tombe d’un échafaudage ou dans la crevaison ignorée d’un mineur foudroyé par un coup de grisou, que dans la mort glorieuse d’un général tué à l’ennemi.

Et il y a de bons patriotes, voyez-vous, qui haïssent la guerre, mais qui la feraient avec joie – si l’on tentait d’assassiner la France – parce qu’ils auraient l’espoir grandiose, ceux-là, non pas d’écraser un peuple, mais d’anéantir, avec le gouvernement qui le régit, toutes les tendances rétrogrades, féodales, anachroniques – le caporalisme. »


(…)

« Quatre faubouriens, sur les sept que nous sommes. Quatre ouvriers qui vont reprendre leur métier, en arrivant, avec la misère qui les guettera au coin de l’établi et la débauche qui leur fera signe, au premier tournant de la rue. Rien à attendre d’eux, rien. Des récits fantastiques de leurs campagnes, peut-être, des histoires à dormir debout, des exagérations idiotes, des hâbleries…

Ah ! il n’y a pas de danger qu’ils aillent porter, dans l’atelier, sur les chantiers, le récit sincère de ce qu’ils ont vu, de ce qu’ils ont enduré, – la haine du militarisme ! On les retrouvera arrêtés, badauds imbéciles, sur les boulevards où défilent les griffetons, au son d’une musique de sauvages ; à Longchamps, les jours de revue, et l’on pourra les entendre applaudir, bien fort, au passage d’un général peinturluré comme une image d’Épinal, d’un colonel dont le plumet se dresse, au-dessus du shako, comme un pinceau de treize sous au-dessus d’un pot à colle.

À quoi ça leur sert-il d’avoir souffert ?…


Des animaux, alors ? Pas même. Des bêtes sans rancune.


Et les autres : Le premier est un garçon instruit, un éduqué que je connais peu. Il se livre à des comparaisons très intéressantes entre la végétation africaine et celle de la France.
Ces comparaisons me font suer.

Le second, c’est cet imbécile de Lecreux. Il est libéré en même temps que moi. Je ne lui ai pas dit quatre mots, je crois, depuis que nous sommes partis d’Aïn-Halib. C’est égal, je serais curieux de savoir à quoi il peut penser, cet être-là. Je vais le lui demander. Je l’appellerai « mon vieux Lecreux. » Ça le flattera.
– Mon vieux Lecreux, tu ne dis rien. À quoi penses-tu ?

– Je pense à une pièce de vers que j’ai faite…
Il fait des vers ! J’aurais dû m’en douter !…

– Que j’ai commencée, plutôt, à Aïn-Halib. Je veux arriver à démontrer l’inanité de tout système philosophique. Je viens justement de trouver deux vers. Tiens, les voici :
Pythagore, Solon, Socrate et Cicéron
Ont discouru longtemps sans rien dire de bon…

– Comment trouves-tu ça ?
– Fous-moi la paix !
– Tu dis ?
– Fous-moi la paix, ou je te casse la gueule !
Ils se sont tous retournés. Ils m’ont cru fou. Tant pis pour eux.


Le train siffle longuement. – Il entre en gare. – Il s’arrête.

Je descends en courant ; je me sauve ainsi qu’un voleur, sans faire d’adieux, sans serrer une main, sans rien dire à personne
– à personne !

J’ai envie de pleurer de rage…

* * * * * * * * * *

Où suis-je ? Sur le boulevard Saint-Germain, près du pont Sully. Je suis venu là tout d’une traite, en grandes enjambées, sans regarder derrière moi, comme si j’avais la police à mes trousses.


Ainsi, je suis à Paris ? Tiens ! Comme c’est tranquille !


C’est drôle, je me figurais autre chose. Mon rêve a glissé sur le pavé gras dont la pente mène à l’égout, et s’en va à vau-l’eau, maintenant, roulé par les flots sales de ce fleuve qui coule, bête et jaune, dans les brumes grises, et dont le courant se partage, au tranchant des piles du pont, sans un bruissement, sans un bruit, sans une écume.

Les maisons aux hautes façades pâles, aux fenêtres mornes, les longues avenues au sol cendré et froid où tremblotent les squelettes ridicules des arbres violets, le ciel blafard et décoloré comme une vieille bâche, les silhouettes vilaines des édifices mangés par les vapeurs caligineuses que piquent déjà les points jaunes des becs de gaz, les taches noires et frissonnantes des passants qui glissent vite, silencieusement…

Ils ne me regardent même pas, ces passants… Si. Une jeune fille a jeté sur moi un coup d’oeil étonné et je l’ai entendue qui disait tout bas à sa compagne :
– Comme il est noir !
Comme il est noir !… C’est tout.


Alors, on ne voit rien sur ma figure ? Il n’y a rien d’écrit, sur mon visage ? Les souffrances n’y ont pas laissé leur marque, les insultes n’y ont pas imprimé leur stigmate. Et l’on ne peut même pas, sur mes membres, comme sur l’échine d’une bête maltraitée, compter les coups que j’ai reçus, dénombrer toutes mes cicatrices !
Ah ! Pourquoi ne m’a-t-on pas meurtri le corps, au lieu de me torturer l’âme ? Pourquoi la honte ne m’a-t-elle pas cinglé comme un fouet ? Pourquoi les douleurs n’ont-elles point été des couteaux et les affronts des fers rouges ? Je pourrais montrer les blessures de ma peau, au moins, puisque je ne peux faire voir les plaies saignantes de mon coeur. Je pourrais mettre ma chair lacérée sous les yeux des indifférents et fourrer dans mes ulcères les doigts blagueurs des incrédules !


Le découragement m’assomme.
Un désir violent me saisit. Une envie atroce me tenaille : je voudrais être Lecreux.
Je ne souffrirais pas comme ça, je ne ressentirais pas le mal lancinant qui me point. Et je m’écrierais gaîment, ce soir, à table, en débouchant une bouteille :
– En voilà une que les chaouchs ne boiront pas !

Ce serait toute ma vengeance, ma foi ! et, après, je ne songerais plus au passé. Je n’aurais même pas la peine d’empêcher les souvenirs d’autrefois de se présenter à mon esprit. Je n’y penserais point, à cet autrefois – naturellement – pas plus qu’on ne pense à un médicament amer qu’on a avalé, à une tache de boue qui a sali vos vêtements et qu’un coup de brosse efface…


Ma vengeance !… Est-ce que je veux me venger ?
Oui, si c’est se venger que d’ouvrir devant tous le livre de son existence, de montrer ce qu’on a souffert, de dire ce qu’on a pensé.
Je veux faire cela à présent. Si c’est vengeance, tant pis ; et si c’est justice, tant mieux.

Je crois que ce sera justice, simplement. La haine me gonfle le coeur, c’est vrai. Mais elle est trop forte, je le sens bien, pour pouvoir jamais s’assouvir – ou se calmer. Elle ne me quittera plus, maintenant ; et c’est elle qui mettra un frein à mes emportements et brisera mes colères. Mais c’est elle aussi qui, calme et froide, me montre déjà le pilori auquel je dois clouer, ainsi qu’une pancarte au-dessus de la tête des malfaiteurs, l’ignominie de mes bourreaux.


Je m’enfonce dans les profondeurs du boulevard désert. La nuit est tombée. Le brouillard s’est épaissi…
C’est dans une nuit plus noire encore que les opprimés doivent élever la voix. C’est dans une obscurité plus grande qu’ils doivent faire éclater la trompette aux oreilles de la Société – la
Société, vieille gueuse imbécile qui creuse elle-même, avec des boniments macabres, la fosse dans laquelle elle tombera, moribonde – sandwich qui se balade, inconsciente, portant, sur les écriteaux qui pendent à son cou et font sonner ses tibias, un grand point d’interrogation – tout rouge. »


Paris, 1888.

FIN






2017/11/30

H pour Harmonie




Si chaque atome de matière, chaque créature vivante est en quelque sorte une corde qui vibre, pour que l’univers ne soit pas un chaos et parte dans tous les sens, pour que nous assistions à l’éclosion magnifique de tout ce qui est, il faut une harmonie et la seule harmonie possible vient de l’accord des parties, un accord non pas imprimé à la surface à posteriori mais implanté au cœur de chaque élément, un « la » universel permettant l’accord de toute chose et leur développement harmonieux, une ‘Mélodie secrète’ dirait Trin Xuan Thuan, un but uniforme aussi probable que l’arrivée d’une flèche tirée par un archer sur un timbre-poste placé au confins de l’univers.

Cet exploit sans nom, ce miracle impossible, c’est la vie. Le sentiment imbriqué dans toute créature vivante qu’il fait partie de cette odyssée incroyable mais vraie. La constante est celle de la vie, le but est de vivre. Si simple que cela paraisse, cela dépasse toutes les perspectives humaines, les rêves les plus fous. Quoique l’homme soit capable de nier, et de justifier la négation, d’Aristote aux Rabbins en passant par Dupond et Dupont, la vie nécessite une approbation et c’est elle qui blesse, c’est là le nœud Gordien de l’humanité. Se voir supérieur à la nature. Se croire au-dessus, au-delà des fonctions fondamentales, se considérer différent, se vanter de posséder la maitrise de ce qui est.

Et cependant, se dissocier de son origine est la perte la plus grande que puisse faire l’humanité. Pour de vaines légendes sorties d’une imagination étroite et vaine, pour des images creuses ou des vanités malfaisantes, l’homme se sépare de la seule chose dont il peut se valoir, de la seule chose qui fait de lui un grand parmi les grands de l’univers, sa vie naturelle, son essence de vie, son immortalité pourrait-on penser aussi ou, au moins, son lien avec l’infini que représente la vie qui est en lui. Les sociétés humaines ont été jusqu’à présent bien plus des étouffoirs de progrès, d’initiatives individuelles et collectives, locales et régionales que le contraire malgré tous les soi-disant progrès effectués qui d’ailleurs s’effondrent les uns après les autres.


Seul le soleil éclaire tout le monde, pour l’instant … En conclusion, si l'humanité est divisée et soumise, c'est qu'elle ne cherche pas son unité là où il faut. Ce n'est pas un signe extérieur, drapeau, slogan, théorie, croyance qui remplacera jamais la seule racine commune de tous ces hommes qui se veulent si différents les uns des autres, et pour ce faire différents d'eux-mêmes, mais un retour à notre nature première d'êtres vivants. Encore faut-il le vouloir !! La seule chose à laquelle l'homme peut devenir supérieur, c'est lui-même ...



















(google CRISPR)






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Extraits, Georges Darien, 'Le voleur'


"Instruction ; éducation. On m’élève. Oh ! L’ironie de ce mot la !…
Éducation. La chasse aux instincts. On me reproche mes défauts ; on me fait honte de mes imperfections. Je ne dois pas être comme je suis, mais comme il faut.
Pourquoi faut-il ?… On m’incite à suivre les bons exemples ; parce qu’il n’y a que les mauvais qui vous décident à agir.

On m’apprend à ne pas tromper les autres ; mais point à ne pas me laisser tromper.
On m’inocule la raison – ils appellent ça comme ça – juste à la place du coeur. Mes sentiments violents sont criminels, ou au moins déplacés ; on m’enseigne à les dissimuler.
De ma confiance, on fait quelque chose qui mérite d’avoir un nom : la servilité ; de mon orgueil, quelque chose qui ne devrait pas en avoir : le respect humain.
Le crâne déprimé par le casque d’airain de la saine philosophie, les pieds alourdis par les brodequins à semelles de plomb dont me chaussent les moralistes, je pourrai décemment, vers mon quatrième lustre, me présenter à mes semblables.
J’aurai du savoir-vivre. Je regarderai passer ma vie derrière le carreau brouillé des conventions hypocrites, avec permission de la romantiser un peu, mais défense de la vivre.

J’aurai peur.
Car il n’y a qu’une chose qu’on m’apprenne ici, je le sais ! On m’apprend à avoir peur.
Pour que j’aie bien peur des autres et bien peur de moi, pour que je sois un lieu-commun articulé par la résignation et un automate de la souffrance imbécile, il faut que mon être moral primitif, le moi que je suis né, disparaisse.
Il faut que mon caractère soit brisé, meurtri, enseveli. Si j’en ai besoin plus tard, de mon caractère – pour me défendre, si je suis riche et pour attaquer, si je suis pauvre – il faudra que je l’exhume. Il revivra tout à coup, le vieil homme qui sera mort en moi – et tant pis pour moi si c’est un épouvantail qui gisait sous la dalle ; et tant pis pour les autres si c’est un revenant dont le suaire ligotait les poings crispés, et qui a pleuré dans la tombe !
Et souvent, il n’y a plus rien derrière la pierre du sépulcre.
La bière est vide, la bière qu’on ouvre avec angoisse. Et quelquefois, c’est plus lugubre encore.
Les rivières claires qui traversent les villes naissantes… On jette un pont dessus, d’abord ; puis deux, puis trois ; puis, on les couvre entièrement. On n’en voit plus les flots limpides ; on n’en entend plus le murmure ; on en oublie même l’existence, Dans la nuit que lui font les voûtes, entre les murs de pierre qui l’étreignent, le ruisseau coule toujours, pourtant. Son eau pure, c’est de la fange ; ses flots qui chantaient au soleil grondent dans l’ombre ; il n’emporte plus les fleurs des plantes, il charrie les ordures des hommes. Ce n’est plus une rivière ; c’est un égout.

Je ne suis pas le seul, sans doute, à avoir deviné la tendance malfaisante d’un système qui poursuit, avec le knout du respect, l’unité dans la platitude. L’enfant a l’orgueil de sa personnalité et le fier entêtement de ce qu’on appelle ses mauvais instincts."



"L’ironie n’est pas rare chez lui ; et il se venge par sa moquerie, toujours juste, du personnage ou de la doctrine qui cherche à peser sur lui. Mais la raillerie n’est pas assez forte pour la lutte.
De là ce mélange de douceur et d’amertume, de patience et de méchanceté, de confiance large et de doute pénible que je remarque chez plusieurs de mes camarades – toujours enfants très heureux ou très malheureux dans leurs familles – et qui se résout dans une tristesse noire et une inquiétude nostalgique.
Non, le sarcasme ne suffit point. Ce n’est pas en secouant ses branches que le jeune arbre peut se débarrasser de la liane qui l’étouffe ; il faut une hache pour couper la plante meurtrière, et cette hache, c’est la Nécessité qui la tient. C’est elle qui m’a délivré.
Il y a une chose que je sais et qu’aucun de mes camarades ne sait encore : je sais qu’il faut vivre.

Je sais qu’il faut avoir une volonté, pour vivre, une volonté qui soit à soi – qui ne demande ni conseil avant, ni pardon après.
Je sais que les années que je dois encore passer au collège seront des années perdues pour moi. Je sais que les avis qu’on me donnera seront mauvais, parce qu’on ne me connaît point et que je ne suis pas un être abstrait. Je sais que ce qu’on m’enseignera ne me servira pas à grand-chose ; qu’en tous cas j’aurais pu l’apprendre tout seul, en quelques mois, si j’en avais eu besoin ; et qu’il n’y a, en résumé, qu’une seule chose qu’il faille savoir, « Nul n’est censé ignorer la loi. » Est-ce que c’est classique, ça, ou simplement péremptoire ?

– La morale, dit-il, est une chose excellente en soi, et même nécessaire. Mais il faut qu’elle reste en rapports étroits avec les réalités présentes ; qu’elle en soit, plutôt, la directe émanation.
Jusqu’à une certaine époque, le XVIe siècle si vous voulez, toute théologie, et par conséquent toute morale, était basée sur sa cosmogonie. Le vieux système de Ptolémée s’est écroulé ; mais le monde moral à trois étages qui s’appuyait sur lui : enfer, terre et ciel, lui a survécu ; c’est un monument qui n’a plus de base.
La morale doit évoluer, comme tout le reste ; elle doit toujours être la conséquence des dernières certitudes de l’homme ou, au moins, de ses dernières croyances. La transformation d’un univers, divisé en trois parties et formellement limité, en un autre univers infini et unique devait entraîner la métamorphose d’un système de morale qui n’était plus en concordance avec le monde nouveau ; il est regrettable que cette nécessité n’ait été comprise que de quelques esprits d’élite que les bûchers ont fait disparaître. Il en résulte que notre vie morale actuelle, si elle est incorrecte devant le critérium conservé, prend les allures d’une protestation contre quelque chose qui n’existe point ; et qu’elle manque de signification, si elle est correcte. C’est très malheureux…"



 "Non, pas d’idéal ; d’aucune sorte. 
Je ne veux pas avoir ma vie obscurcie par mon ombre."



"Le vieux précepte : « Tu ne voleras pas » est excellent ; mais il exige aujourd’hui un corollaire : « Tu ne te laisseras pas voler. » Et dans quelle mesure faut-il ne pas voler, afin de ne point se laisser voler ?
Croyez-vous que ce soient les Codes qui indiquent la dose ? Certes, il y a de nombreuses fissures dans les Tables de la Loi ; et la jurisprudence est bien obligée de les élargir tous les jours ; je pense pourtant que ce n’est point suffisant, je ne vous parlerai pas de la façon dont les foules, en général, interprètent les principes surannés qui ont la prétention ridicule de diriger la conscience humaine ; mais avez-vous remarqué comme les magistrats, les juges, lorsqu’ils y sont forcés, exposent pauvrement la morale ? J’ai voulu m’en donner une idée, et j’ai visité les prétoires. Monsieur, c’est absolument piteux. Mais comment voulez-vous qu’il en soit autrement ?… Les conséquences d’un pareil état de choses sont pénibles ; il produit forcément la division de l’Humanité en deux fractions à peu près égales : les bourreaux et les victimes. Il faut dire qu’il y a des gradations. Si vous êtes bourreau, vous pouvez être usurier comme vous pouvez être philanthrope ; si vous êtes victime, vous pouvez être le sentimentaliste qui soupire ou la dupe qu’on fait crever… Il me semble que les grands prophètes hébreux, qui furent les plus humains des philosophes, ont donné, il y a bien longtemps – à l’époque où ils lançaient les glorieuses invectives de leur véhémente colère contre un Molochisme dont celui d’aujourd’hui n’est que la continuation mal déguisée – ont donné, dis-je, quelque idée de la morale qu’ils prévoyaient inévitable. « Ne méprise pas ton corps », a dit Isaïe. Monsieur, je ne connais point de parole plus haute. – Riche ! ne méprise pas ton corps ; car les excès dont tu seras coupable se retourneront contre toi, et la maladie hideuse ou la folie plus hideuse encore feront leur proie de tes enfants ; tu ne peux pas faire du mal à ton prochain sans mépriser ton corps. Pauvre ! ne méprise pas ton corps ; car ton corps est une chose qui t’appartient tu ne sais pas pourquoi, une chose dont tu ignores la valeur, qui peut être grande pour tes semblables, et que tu dois défendre ; tu ne peux pas laisser ton prochain te faire du mal sans mépriser ton corps.

– Ça, voyez-vous, c’est une base, il est vrai qu’elle est individualiste, comme on dit. Et l’individualisme n’est pas à la mode…

Parbleu ! Comment voudriez-vous, si l’individu n’était pas écrasé comme il l’est, si les droits n’étaient pas créés comme ils le sont par la multiplication de l’unité, comment voudriez-vous forcer les masses à incliner leurs fronts, si peu que ce soit, devant cette morale qui ne repose sur rien, chose abstraite, existant en soi et par la puissance de la bêtise ? C’est pourquoi il faut enrégimenter, niveler, former une société – quel mot dérisoire ! – à grands coups de goupillon ou à grands coups de crosse. Le goupillon peut être laïque ; ça m’est égal, du moment qu’il est obligatoire. Obligatoire ! tout l’est à présent : instruction, service militaire, et demain, mariage. Et mieux que ça : la vaccination. La rage de l’uniformité, de l’égalité devant l’absurde, poussée jusqu’à l’empoisonnement physique ! Du pus qu’on vous inocule de force – et dont l’homme n’aurait nul besoin si la morale ne lui ordonnait pas de mépriser son corps ; – de la sanie infecte qu’on vous infuse dans le sang au risque de vous tuer (comptez-les, les cadavres d’enfants qu’assassine le coup de lancette !) du venin qu’on introduit dans vos veines afin de tuer vos instincts, d’empoisonner votre être ; afin de faire de vous, autant que possible, une des particules passives qui constituent la platitude collective et morale…
C’est le prestige abrutissant de leur science charlatanesque qui est arrivé à donner aux êtres la peur de l’existence, ce souci du lendemain qui avilit, cette résignation égoïste et dégradante ; c’est la cruauté de leur science impitoyable et sanglante qui incite les êtres à tuer leurs petits. Eh ! bien, moi, je pense que les riches qui tuent leurs gosses mériteraient qu’on leur coupât le cou ; et quant aux pauvres qui en font autant, je pense qu’il faut qu’ils soient rudement lâches pour aimer mieux assassiner leurs petits que de faire rendre gorge aux gredins qui leur enlèvent les moyens de les élever."



"La philanthropie en passant ses béquilles sous les bras des malheureux, 
les rend incurablement infirmes."



"Permettez-moi de vous donner un exemple. Les mineurs du bassin de la Loire possèdent presque tous la petite maison et le jardin dont vous parlez ; ils y vivent bien, ne se refusent pas grand’chose. Monsieur, il n’y a pas d’êtres plus insatiables et plus tyranniques envers leurs patrons. Ils ne sont jamais contents, bien qu’ils soient parvenus à arracher des salaires exorbitants, et vont mettre sur la paille, un de ces jours, les capitalistes qui les emploient. Les mineurs des départements du Nord, au contraire, habitent des tanières infectes, vivent de pommes de terre avariées, croupissent dans la plus abjecte destitution ; eh ! bien, ils ne se plaignent pas, ou d’une façon si timide que c’en est ridicule ; savez-vous pourquoi ? Parce que l’habitude de la misère les oblige à la résignation. Et il est inutile de vous dire si les actions des mines qu’ils exploitent valent de l’or en barre !"



"Un bâtiment occupé n’a pas du tout la même odeur qu’une maison que ses habitants ont quittée, serait-ce seulement depuis deux heures. La différence est énorme, bien que les honnêtes gens ne s’en aperçoivent pas ; leur sensibilité olfactive est tellement émoussée ! Mais, sous la pression de la nécessité, le sens de l’odorat se développe chez le malfaiteur, acquiert une finesse remarquable et lui assure la notion des odeurs, des particules impalpables des corps, dont le commun des mortels ne soupçonne même pas l’existence. Le voleur, enfant de la nature, sait flairer la présence de ses contemporains civilisés. Mille indices, imperceptibles à la Vertu planant sur les plus hauts sommets, sont facilement déchiffrables pour le crime habitué à ramper bestialement dans la poussière d’ici-bas. Le vice a ses petites compensations."



"Des oeufs brouillés symbolisent pour lui l’état présent de la Société, 
dédaigneuse de l’harmonie nécessaire."

  

"La Société !
C’est la coalition des impuissances lépreuses. Quel est donc l’imbécile qui a dit le premier qu’elle avait été constituée par des Forts pour l’oppression des Faibles ? 
Elle a été établie par des Faibles, et par la ruse, pour l’asservissement des Forts. 
C’est le Faible qui règne, partout ; le faible, l’imbécile, l’infirme ; c’est sa main d’estropié, sa main débile, qui tient le couteau qui châtre…"








2017/11/22

V for Vibration




Chaque homme est trop lui-même, ou ce qu’il croit être lui-même. Chaque homme se lie trop à son apparence et à l’apparence de son environnement, couleur de peau, classe sociale, nationalité, identité culturelle et par ce fait ne voit pas la ‘big picture’ mais l’arbre qui cache la forêt. Ce que l’on croit savoir de soi n’est que l’apparence de l’apparence contrairement à notre essence d’homme, à notre commune nature humaine.

C’est cette ‘humaine nature’ commune qui nous permet de nous différencier les uns des autres et qui apporte la cohérence dans la volonté dénaturée de se croire des êtres surnaturels, des puissances supérieures à la nature, à notre nature. Ce qu’on appelle civilisation n’a jamais été qu’une forme de légalisation du pouvoir de l’homme sur l’homme. Quand la loi humaine légitime la domination, l’inégalité de droit là où la nature a créé l’égalité de fait, la loi a tort.

C’est le lien identitaire unique d’une commune nature qui permet à l’homme de communiquer et de s’élever. Car le moteur de l’élévation est dans la communication. La vie est faite pour communiquer et c’est ce qu’elle fait sans cesse. Or, la vie ne communique pas à propos de biens matériels mais de sensations, de pensées, de mémoire retransmise, de combinaisons, de curiosité, d’esprit, d’âmes. Là est le domaine de la vie, là est la source sans cesse renaissante ayant une origine et un but, là est la réalité de l’existence.
Rejetez la réalité dans la matérialité et vous supprimez le point commun unique et original entre les hommes eux-mêmes et entre les hommes et la nature, et leur nature. La culture est, mal comprise et mal utilisée, un instrument de division.

L’homme a besoin d’un tel échange avec son environnement et ses semblables car c’est sa raison d’être, son moteur et son énergie, son tout. Le besoin, le désir de communication est tel que la majorité des actions s’y rapportent, directement ou non. Car l’homme ne vit pas de faits mais de rêves, d’espoirs, de remords, de projets sentimentaux, de la douceur d’un regard, de la franchise du ton plutôt que des mots, de mille petits faits qui n’ont absolument rien de matériel. L’homme, la vie est une corde qui vibre et chaque créature vivante a sa propre façon de vibrer.




Mais toutes vibrent. La vie est une vibration, d’espace, le son, et de lumière, l’image. Ah, l’audiovisuel, le bien nommé … L’atome est soit une particule, ou une corde, soit une onde qui serait la vibration de la corde. Une vibration, une onde, un son ou un photon, une couleur n’ont pas de nature matérielle à proprement parler. Ils sont et ne sont pas. Mais ce sont ceux-là, ces éléments spirituels si on peut dire qui sont la vie dont la matière est le support. Ce sont eux qui animent la matière, ce sont eux qui permettent à l’esprit de ne pas se fondre en matière, de ne pas disparaître.

L’homme comme tout ce qui vit est fait pour communiquer, échanger, partager, communier, aider, aimer, c’est sa vie, c’est la vie. La société humaine qui ne repose pas sur ce principe avance de crise en crise, malade et gangrénée, sans progrès véritable dans son essence, dans sa constitution. L’homme aussi qui, en rébellion avec sa nature, se tourne vers la matérialité, l’apparence, l’illusion. Politesse des lèvres et glace dans le cœur. La vie a besoin de chaleur, de lumière, d’espace, de pureté car elle est enthousiaste, sincère dans ses élans, admirable dans sa finesse, sa délicatesse, prodigieuse dans son abondance, sa diversité.


On peut aller plus loin et affirmer que, quelle que soit la matérialité de l’activité dans laquelle un homme est engagé, ou se croit engagé, il ne vit cependant que par l’esprit, que par ses sentiments, ses sensations, ses espoirs qui vibrent en lui incessamment. C’est la vibration de la vie. L’âme de l’être vivant est une vibration particulière comme celle de l’électron sous sa nature d’onde. 


Ce n’est pas en mettant un masque, fut-ce celui de ‘V’ que l’homme peut vivre, peut survivre mais au contraire doit-il enlever tous ceux qui obscurcissent sa vue, son ouie, son âme.  








« Le visage du mineur s'était de nouveau assombri; le feu de son regard s'éteignit dans une larme de désespoir, et un long soupir sortit de sa poitrine :

Les gros poissons mangeront toujours les petits, murmura-t-il, et les hommes se prosterneront toujours devant le veau d'or. »

...

« Après avoir vu sa ruine devenue publique, l'alderman voulut résigner ses fonctions; mais il était trop aimé et respecté par les habitants de Falun pour qu'ils consentissent à élire un autre
échevin.  
Son désastre semblait avoir accru l'estime, la confiance et l'affection que méritait sa loyauté proverbiale dans toute la Dalécarlie.

Ce pays était si peu civilisé
que l'honnête homme, vaincu par la mauvaise fortune,

était encore exposé à trouver des amis. »

Emmanuel Gonzalès, Les gardiennes du trésor, 1860