J'avais commencé ce blog avec Saint-Exupéry, il y a près de douze ans, finissons-le de même !
Ce n'est pas sans beaucoup de tristesse que j'arrête cette expérience car j'aurais de quoi remplir des centaines d'articles. D'ailleurs, en passant, si par le plus grand des hasards une personne était intéressée à mener une coopération pour la publication de nouvelles pages, originales ou reprises de MfM-news, pourquoi pas ! Avis aux amateurs ...
Le titre de ce blog étant 'L'homme pour l'humanité', il est juste de faire référence à l'homme qui a marqué de son 'bon génie' la fin de l'apogée de la culture humaine qui, selon moi, fut la période de 1850 à 1950 en France en particulier et un peu en Amérique grâce à Henri Georges, Fenimore Cooper et Edgard Poe, et aussi en Angleterre avec Dickens, Huxley, Wells, Kipling et Scott par exemple.
Je ne développerai pas car je ne puis plus mener de front la publication d'articles ici et sur mon blog en anglais auquel je réserve mes derniers efforts.
L'image de la planète du Petit Prince envahie par les baobabs est celle de notre terre envahie par le mal faute d'aboir voulu en arracher ses premières pousses.
Lisez, lisez mes amis ces extraits du chef d'oeuvre d'Antoine !!!
Antoine de
Saint-Exupéry
LE PETIT PRINCE, 1943
À LÉON WERTH
Je demande
pardon aux enfants d’avoir dédié ce livre à une grande personne. J’ai une
excuse sérieuse : cette grande personne est le meilleur ami que j’ai au monde.
J’ai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, même les livres
pour enfants. J’ai une troisième excuse : cette grande personne habite la
France où elle a faim et froid. Elle a bien besoin d’être consolée. Si toutes
ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dédier ce livre à l’enfant qu’a été
autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont d’abord été
des enfants. (Mais peu d’entre elles s’en souviennent.) Je corrige donc ma
dédicace :
À LÉON
WERTH QUAND IL ÉTAIT PETIT GARÇON
(...)
Si je vous
ai raconté ces détails sur l’astéroïde B 612 et si je vous ai confié son
numéro, c’est à cause des grandes personnes.
Les grandes
personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d’un nouvel ami, elles ne
vous questionnent jamais sur l’essentiel. Elles ne vous disent jamais : « Quel
est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu’il préfère ? Est-ce qu’il
collectionne les papillons ? » Elles vous demandent : « Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il
de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ? » Alors seulement
elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes : « J’ai vu une
belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur
le toit… » elles ne parviennent pas à s’imaginer cette maison. Il faut leur
dire : « J’ai vu une maison de cent mille francs. » Alors elles s’écrient : «
Comme c’est joli ! »
Ainsi, si
vous leur dites : « La preuve que le petit prince a existé c’est qu’il était
ravissant, qu’il riait, et qu’il voulait un mouton. Quand on veut un mouton,
c’est la preuve qu’on existe » elles hausseront les épaules et vous traiteront
d’enfant !
Mais si
vous leur dites : « La planète d’où il venait est l’astéroïde
B 612 »
alors elles seront convaincues, et elles vous laisseront tranquille avec leurs
questions. Elles sont comme ça. Il ne faut pas leur en vouloir. Les enfants
doivent être très indulgents envers les grandes personnes.
Mais, bien
sûr, nous qui comprenons la vie, nous nous moquons bien des numéros ! J’aurais
aimé commencer cette histoire à la façon des contes de fées. J’aurais aimé dire
:
« Il était
une fois un petit prince qui habitait une planète à peine plus grande que lui,
et qui avait besoin d’un ami… » Pour ceux qui comprennent la vie, ça aurait eu
l’air beaucoup plus vrai.
Car je n’aime
pas qu’on lise mon livre à la légère. J’éprouve tant de chagrin à raconter ces
souvenirs. Il y a six ans déjà que mon ami s’en est allé avec son mouton. Si
j’essaie ici de le décrire, c’est afin de ne pas l’oublier. C’est triste
d’oublier un ami.
Tout le
monde n’a pas eu un ami. Et je puis devenir comme les grandes personnes qui ne
s’intéressent plus qu’aux chiffres.
(...)
J’appris
bien vite à mieux connaître cette fleur. Il y avait toujours eu, sur la planète
du petit prince, des fleurs très simples, ornées d’un seul rang de pétales, et
qui ne tenaient point de place, et qui ne dérangeaient personne. Elles
apparaissaient un matin dans l’herbe, et puis elles s’éteignaient le soir.
Mais
celle-là avait germé un jour, d’une graine apportée d’on ne sait où, et le
petit prince avait surveillé de très près cette brindille qui ne ressemblait
pas aux autres brindilles. Ça pouvait être un nouveau genre de baobab. Mais
l’arbuste cessa vite de croître, et commença de préparer une fleur. Le petit
prince, qui assistait à l’installation d’un bouton énorme, sentait bien qu’il en
sortirait une apparition miraculeuse, mais la fleur n’en finissait pas de se
préparer à être belle, à l’abri de sa chambre verte.
Elle
choisissait avec soin ses couleurs. Elle s’habillait lentement, elle ajustait
un à un ses pétales. Elle ne voulait pas sortir toute fripée comme les
coquelicots. Elle ne voulait apparaître que dans le plein rayonnement de sa
beauté. Eh ! oui. Elle était très coquette ! Sa toilette mystérieuse avait donc
duré des jours et des jours. Et puis voici qu’un matin, justement à l’heure du
lever du soleil, elle s’était montrée.
Et elle,
qui avait travaillé avec tant de précision, dit en bâillant :
– Ah ! Je
me réveille à peine… Je vous demande pardon…
Je suis
encore toute décoiffée…
Le petit
prince, alors, ne put contenir son admiration :
– Que vous
êtes belle !
– N’est-ce
pas, répondit doucement la fleur. Et je suis née en même temps que le soleil…
Le petit
prince devina bien qu’elle n’était pas trop modeste, mais elle était si
émouvante !
– C’est
l’heure, je crois, du petit déjeuner, avait-elle bientôt ajouté, auriez-vous la
bonté de penser à moi…
Et le petit
prince, tout confus, ayant été chercher un arrosoir d’eau fraîche, avait servi
la fleur.
Ainsi l’avait-elle
bien vite tourmenté par sa vanité un peu ombrageuse. Un jour, par exemple,
parlant de ses quatre épines, elle avait dit au petit prince :
– Ils
peuvent venir, les tigres, avec leurs griffes !
– Il n’y a
pas de tigres sur ma planète, avait objecté le petit prince, et puis les tigres
ne mangent pas l’herbe.
– Je ne
suis pas une herbe, avait doucement répondu la fleur.
–
Pardonnez-moi…
– Je ne
crains rien des tigres, mais j’ai horreur des courants d’air. Vous n’auriez pas
un paravent ?
« Horreur des
courants d’air… ce n’est pas de chance, pour une plante, avait remarqué le
petit prince. Cette fleur est bien compliquée… »
– Le soir
vous me mettrez sous globe. Il fait très froid chez vous. C’est mal installé.
Là d’où je viens…
Mais elle s’était
interrompue. Elle était venue sous forme de graine. Elle n’avait rien pu
connaître des autres mondes.
Humiliée de
s’être laissé surprendre à préparer un mensonge aussi naïf, elle avait toussé
deux ou trois fois, pour mettre le petit prince dans son tort :
– Ce
paravent ? …
– J’allais
le chercher mais vous me parliez !
Alors elle
avait forcé sa toux pour lui infliger quand même des remords.
Ainsi le
petit prince, malgré la bonne volonté de son amour, avait vite douté d’elle. Il
avait pris au sérieux des mots sans importance, et était devenu très
malheureux.
« J’aurais
dû ne pas l’écouter, me confia-t-il un jour, il ne faut jamais écouter les
fleurs. Il faut les regarder et les respirer.
La mienne
embaumait ma planète, mais je ne savais pas m’en réjouir. Cette histoire de
griffes, qui m’avait tellement agacé, eût dû m’attendrir… »
Il me
confia encore :
« Je n’ai
alors rien su comprendre ! J’aurais dû la juger sur les actes et non sur les
mots. Elle m’embaumait et m’éclairait. Je n’aurais jamais dû m’enfuir !
J’aurais dû deviner sa tendresse derrière ses pauvres ruses. Les fleurs sont si
contradictoires !
Mais
j’étais trop jeune pour savoir l’aimer. »
(...)
Le petit
prince arracha aussi, avec un peu de mélancolie, les dernières pousses de
baobabs. Il croyait ne jamais devoir revenir. Mais tous ces travaux familiers
lui parurent, ce matin-là, extrêmement doux. Et, quand il arrosa une dernière
fois la fleur, et se prépara à la mettre à l’abri sous son globe, il se découvrit
l’envie de pleurer.
– Adieu,
dit-il à la fleur.
Mais elle
ne lui répondit pas.
– Adieu,
répéta-t-il.
La fleur
toussa. Mais ce n’était pas à cause de son rhume.
– J’ai été
sotte, lui dit-elle enfin. Je te demande pardon.
Tâche
d’être heureux.
Il fut surpris
par l’absence de reproches. Il restait là tout déconcerté, le globe en l’air.
Il ne comprenait pas cette douceur calme.
– Mais oui,
je t’aime, lui dit la fleur. Tu n’en as rien su, par ma faute. Cela n’a aucune
importance. Mais tu as été aussi sot que moi. Tâche d’être heureux… Laisse ce
globe tranquille. Je n’en veux plus.
– Mais le
vent…
– Je ne
suis pas si enrhumée que ça… L’air frais de la nuit me fera du bien. Je suis
une fleur.
– Mais les
bêtes…
– Il faut
bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux connaître les
papillons. Il paraît que c’est tellement beau.
Sinon qui
me rendra visite ? Tu seras loin, toi. Quant aux grosses bêtes, je ne crains
rien. J’ai mes griffes.
Et elle
montrait naïvement ses quatre épines. Puis elle ajouta :
– Ne traîne
pas comme ça, c’est agaçant. Tu as décidé de partir. Va-t’en.
Car elle ne
voulait pas qu’il la vît pleurer. C’était une fleur tellement orgueilleuse…
(...)
C’est alors
qu’apparut le renard.
– Bonjour,
dit le renard.
– Bonjour,
répondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien.
– Je suis
là, dit la voix, sous le pommier.
– Qui es-tu
? dit le petit prince. Tu es bien joli…
– Je suis
un renard, dit le renard.
– Viens
jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste…
– Je ne
puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.
– Ah !
pardon, fit le petit prince.
Mais, après
réflexion, il ajouta :
– Qu’est-ce
que signifie « apprivoiser » ?
– Tu n’es
pas d’ici, dit le renard, que cherches-tu ?
– Je
cherche les hommes, dit le petit prince. Qu’est-ce que signifie « apprivoiser »
?
– Les
hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent. C’est bien gênant !
Ils élèvent aussi des poules. C’est leur seul intérêt. Tu cherches des poules ?
– Non, dit
le petit prince. Je cherche des amis. Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?
– C’est une
chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « créer des liens… »
– Créer des
liens ?
– Bien sûr,
dit le renard. Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent
mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de
moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards.
Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi
unique au monde. Je serai pour toi unique au monde…
– Je
commence à comprendre, dit le petit prince. Il y a une fleur… je crois qu’elle
m’a apprivoisé…
– C’est
possible, dit le renard. On voit sur la Terre toutes sortes de choses…
– Oh ! ce
n’est pas sur la Terre, dit le petit prince.
Le renard
parut très intrigué :
– Sur une
autre planète ?
– Oui.
– Il y a
des chasseurs, sur cette planète-là ?
– Non.
– Ça, c’est
intéressant ! Et des poules ?
– Non.
– Rien
n’est parfait, soupira le renard.
Mais le
renard revint à son idée :
– Ma vie
est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules
se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m’ennuie donc un peu.
Mais, si tu m’apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit
de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer
sous terre. Le tien m’appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis
regarde ! Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé
pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c’est triste
! Mais tu as des cheveux couleur d’or. Alors ce sera merveilleux quand tu
m’auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et
j’aimerai le bruit du vent dans le blé…
Le renard
se tut et regarda longtemps le petit prince :
– S’il te
plaît… apprivoise-moi ! dit-il.
– Je veux
bien, répondit le petit prince, mais je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai des
amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.
– On ne
connaît que les choses que l’on apprivoise, dit le renard. Les hommes n’ont
plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les
marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus
d’amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
– Que
faut-il faire ? dit le petit prince.
– Il faut
être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de
moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras
rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras
t’asseoir un peu plus près…
Le
lendemain revint le petit prince.
– Il eût
mieux valu revenir à la même heure, dit le renard.
Si tu
viens, par exemple, à quatre heures de l’après-midi, dès trois heures je
commencerai d’être heureux. Plus l’heure avancera, plus je me sentirai heureux.
À quatre heures, déjà, je m’agiterai et m’inquiéterai ; je découvrirai le prix
du bonheur !
Mais si tu
viens n’importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m’habiller le cœur…
Il faut des rites.
– Qu’est-ce
qu’un rite ? dit le petit prince.
– C’est
aussi quelque chose de trop oublié, dit le renard.
C’est ce
qui fait qu’un jour est différent des autres jours, une heure, des autres
heures. Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi
avec les filles du village. Alors le jeudi est jour merveilleux ! Je vais me
promener jusqu’à la vigne. Si les chasseurs dansaient n’importe quand, les
jours se ressembleraient tous, et je n’aurais point de vacances.
Ainsi le
petit prince apprivoisa le renard. Et quand l’heure du départ fut proche :
– Ah ! dit
le renard… Je pleurerai.
– C’est ta
faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu
que je t’apprivoise…
– Bien sûr,
dit le renard.
– Mais tu
vas pleurer ! dit le petit prince.
– Bien sûr,
dit le renard.
– Alors tu
n’y gagnes rien !
– J’y
gagne, dit le renard, à cause de la couleur du blé.
Puis il
ajouta :
– Va revoir
les roses. Tu comprendras que la tienne est unique au monde. Tu reviendras me
dire adieu, et je te ferai cadeau d’un secret.
Le petit
prince s’en fut revoir les roses.
– Vous
n’êtes pas du tout semblables à ma rose, vous n’êtes rien encore, leur dit-il.
Personne ne vous a apprivoisées et vous n’avez apprivoisé personne. Vous êtes
comme était mon renard.
Ce n’était
qu’un renard semblable à cent mille autres. Mais j’en ai fait mon ami, et il
est maintenant unique au monde.
Et les
roses étaient bien gênées.
– Vous êtes
belles, mais vous êtes vides, leur dit-il encore.
On ne peut
pas mourir pour vous. Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait
qu’elle vous ressemble. Mais à elle seule elle est plus importante que vous
toutes, puisque c’est elle que j’ai arrosée. Puisque c’est elle que j’ai mise
sous globe. Puisque c’est elle que j’ai abritée par le paravent. Puisque c’est elle
dont j’ai tué les chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons).
Puisque c’est elle que j’ai écoutée se plaindre, ou se vanter, ou même
quelquefois se taire. Puisque c’est ma rose.
(...)
Et il
revint vers le renard :
– Adieu,
dit-il…
– Adieu,
dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec
le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.
–
L’essentiel est invisible pour les yeux, répéta le petit prince, afin de se
souvenir.
– C’est le
temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.
– C’est le
temps que j’ai perdu pour ma rose… fit le petit prince, afin de se souvenir.
– Les
hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. Mais tu ne dois pas l’oublier.
Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es
responsable de ta rose…
– Je suis
responsable de ma rose… répéta le petit prince, afin de se souvenir.