2016/10/17

Provence, Providence




Des aboiements derrière ma porte. Réveil en sursaut. Je ne fais qu'un bon jusqu'à la serrure pour voir, au moment où je passe le seuil, un chien noir, de taille moyenne, plutôt gras, mais bien noir et blanc, qui se sauve de toutes ses pattes dans l'escalier. Je prends une poignée de cailloux que je lance prestement, puis une autre. Il a filé. Je lève les yeux pour voir deux des chatons accrochés au mur, littéralement, de toutes leurs griffes, arrimés au crépi comme s'il était en liège, le poil hérissé, le dos courbé, immobiles et grondant sourdement. Bien ça. Les décrocher est moins facile que d'enlever un chapeau chinois au rocher où sa ventouse le colle, et le crépis est du ciment ! Bon, un troisième sur le toit, un autre en haut du pin et le cinquième à la porte du voisin. Pas d'avarie, tous présents.






La mort est passée près. Des grenades pourrissent sur des grenadiers. Un litre de jus de grenade vaut 6 euros au supermarché en France, et bien plus ailleurs. Les vergers sont pleins de ces fruits brun rouge, parfois un peu jaunes, parfois rouge vif. Les fruits tombent ou prennent une couleur brune. Ils pourissent, faisant la joie des mouches qui y pondent leurs oeufs. Juchés sur une vieille petite moto, deux petits vieux passent, lentement, la femme en amazone, le visage ridé. Les enfants sont partis, à Athène et vers Athen, USA. La vie s'échappe de la foule qui marche vers son but unique et multiple, comme ces visages glabres et pâles des hommes de Tbilissi pendant l'ère communiste. Remonter l'avenue, faire le tour de la place et revenir. C'est dimanche. Marchons. Aucune cloche ne sonne, rien qu'un murmure sourd sous un ciel de plomb. Respiration confuse, regards éteints, le ventre d'une baleine est moins sombre que tous ces yeux sans vie.

La mère est arrivée, haletante comme un caniche dans le désert, épuisée, le sang vide d'énergie. Je verse des croquettes en tas. A peine en mange t-elle quatre fois, toujours essoufflée, qu'elle s'éloigne pour lancer ce roucoulement grave et doux. Elle appelle ses petits, à peine rassasiée, chancelante encore. La vie. Elle se dit Princesse, fille de Princesse. Elle habite au troisième, avec le chauffage central d'octobre à avril. Deux petits enfants vont et viennent, très occupés, bons enfants. En passant ils jettent un regard par la porte, curieux, intelligent, furtif. Trois verres de coca a demi vides. Les cris de la cour se confondent avec ceux des mouettes, le soir tombe, au revoir Princesse, merci Princesse. Rouge, impair et passe.

Cependant, il faut. Oui, il faut car s'il ne fallait pas, que faire, où aller, que croire ? Abondance ne signifie pas richesse, bien au contraire. Il ne manque de rien dans certains quartiers. La volonté de vouloir y domine, sans autre but que de vouloir, pour vouloir. Là, il ne faut pas, car nous voulons. Quoi ? N'importe puisque je veux, puisque tu veux, n'est-ce pas assez, n'est-ce pas mieux de vouloir que de devoir ? Cherchons, cherchons encore, ensemble, tous ensemble mais chacun pour soi car tu ne me vaux pas. Allez, allons, va toujours. Ah ! Qu'elle est belle cette rose d'automne, cette rose qui va se faner, rose au parfum suave, rose du dimanche, rose inconnue dans le brouillard du petit matin, lanterne dans la grisaille, entre chien et loup.




















Pas de fleurs dans l'océan mais la crête des vagues étincelle. Le soleil est là, brûlant, salé, énervant. Les caillous ne l'ont pas touché. Il reviendra. La vie. Bonjour, je m'appelle Siméon. Elle avait trente ans et pas d'enfants. Elle a un garçon, en Ecosse, maintenant un homme, même, c'était il y a si longtemps. La vie. Elle sait, elle savait, et elle n'a pas su car elle a voulu, elle l'a voulu. Non, elle ne regrette rien, peut-être simplement un foulard de soie vert et bleu avec un liseré doré. Forcalquier, une croix, la place du marché, le soir un bal folk. Sous les étoiles quelques feux dans une clairière en pente douce et la musique, des polkas, des mazurkas, même une bourrée, il fait frais, l'air est sec. La petite camionnette roule lentement sur cette route qui tourne sans cesse, qui monte et descend éclairée par la pleine lune entre des montagnes bleues, nous sommes trois devant.

L'homme est un être étonnant. Il flotte sur lui comme une malédiction. Oh ! Pas une malédiction Chrétienne, de celles qui font de nous des marionnettes mais un souffle de lassitude, un désir d'ignorance, une marée de lâcheté qui en se retirant laisse à nu des désirs échevelés, des forces contraires, des vagues qui se heurtent sans plus obéir ni au vent ni au courant, affolées par des écueils à fleur d'eau. Ce n'est pas que l'homme soit nouveau sur terre, non, des millénaires nous précèdent sur lesquels nous jetons un regard désabusé, contrit, pesant. Les heures passent et nul ne s'éveille car aucun n'a dormi, de ce bon sommeil qui fait des matins neufs, de cet assoupissement pétri de songes animés, de romans inachevés, d’entraînements insensés. L'homme ne dors ni ne veille mais suis sa trace, marquée dans un néant peuplé de fantômes, ombres animées qui rient de se voir avancer à la lumière quant au dedans tout est sombre comme dans un cloître gothique.





Comme la madeleine de Proust, l'odeur âcre et mielleuse du figuier fait vibrer une corde oubliée. Dans une clairière de petits chênes noueux, aux feuilles marrons, sèches et craquantes je m'élance et je danse, je tourne en rhytme, serrant une main puis une autre, grisé d'allégresse et d'oubli. Je sors à peine d'une citroen GS, voiture d'un voyageur de commerce allant à Digne. Le cendrier déborde de mégots de Gitane sans filtres, tous exactement de la même taille. Depuis trois heures qu'on roule, la nuit est venue. Les phares jaunes éclairent peu mais on ne va pas vite car la discussion ne s'arrête pas. Mais si, une bonne monarchie vaut mieux que la république, et laisser vos mains sur le volant, merci. Si je ne vis pas dans un tonneau, c'est bien qu'on ne me laisserait pas, et arrêtez, c'est là, au milieu de nulle part, sous les étoiles. J'avais seize ans.