Plus tard, l'Empereur, parlant des moeurs de Paris
et de
l'ensemble de son immense population,
énumérait toutes les abominations
inévitables, disait-il,
d'une grande capitale, où la perversité
naturelle
et la somme de tous les vices se trouvaient aiguillonnées à chaque
instant
par le besoin, la passion, l'esprit et toutes les facilités du mélange et
de la confusion ;
et il répétait souvent que
toutes les capitales étaient
autant de Babylones.
Extraits des Mémoires rédigées par son Valet de Chambre
"55
Les royalistes, tout-à-fait oubliés depuis la pacification
de la Vendée, reparaissaient sur l'horizon politique; c'était un accroissement de
mon autorité ; je refaisais la royauté. C'était chasser sur leurs terres. Ils
ne se doutaient pas que ma monarchie n'avait point de rapport à la
leur. La mienne était toute dans les faits. La leur toute dans
les droits. La leur n'était fondée que sur des habitudes, la mienne s'en
passait, elle marchait en ligne avec le génie du siècle ; la leur
tirait à la corde pour s'y retenir.
53
Mon autorité ne reposait pas, comme dans les vieilles
monarchies, sur un échafaudage de castes et de corps intermédiaires, elle était
immédiate et n'avait d'appui que dans elle-même, car il n'y avait dans l'empire
que la nation et moi. Mais dans cette nation, tous étaient également appelés
aux fonctions publiques; le point de départ n'était un obstacle pour personne, le
mouvement ascendant était universel dans l'état : ce mouvement a fait ma force.
Je n'ai pas inventé ce système, il est sorti des ruines de
la Bastille ; il n'est que le résultat de la civilisation et des mœurs que le
temps a donné à l'Europe. On essayera en vain de le détruire; il se maintiendra
par la force des choses, parce que le droit finit toujours par se placer là où est
la force. Or, la force n'était plus dans la noblesse depuis qu'elle avait
promis au tiers-état de porter les armes et n'avait plus voulu être la seule
milice de l'état.
59
La force n'était plus dans le clergé, depuis que le monde
était devenu protestant en devenant raisonneur. La force n'était plus dans le
gouvernement précisément, parce que la noblesse et le clergé n'étaient plus en
état de remplir leurs fonctions, c'est-à-dire d'appuyer le trône. La force
n'était plus dans la routine et les préjugés; depuis qu'on avait démontré au peuple
qu'il n'y avait ni routine ni préjugés. Il n'y avait dissolution dans le corps
social, longtemps avant la révolution, que parce qu'il n'y avait plus de
rapport entre les mots et les choses. La chute des préjugés avait mis à nu la source
des pouvoirs, on avait découvert leur faiblesse; ils sont tombés en effet à la
première attaque.
Il fallait donc refaire l'autorité sur un autre plan, il
fallait qu'elle se passât du cortège des habitudes et des préjugés; il fallait
qu'elle se passât de cet aveuglement qu'on appelle la foi. Elle n'avait hérité d'aucuns
droits ; il fallait donc qu'elle fût en entier dans le fait, c'est-à-dire dans la
force.
La guerre avait recommencé avec l'Angleterre, parce qu'il ne
lui est plus possible de rester longtemps en paix. Le territoire de
l'Angleterre est devenu trop petit pour sa population ; il lui faut pour
vivre le monopole des quatre parties du monde ; la guerre procure
seule ce monopole aux Anglais, parce qu'elle lui vaut le droit de détruire sur
mer. C'est sa sauvegarde.
Il n'y avait dans l'empire que la nation et moi L'Angleterre
était fatiguée par le séjour de mes troupes sur les côtes; elle voulait s'en débarrasser
à tout prix et chercha, la bourse à la main, des alliés sur le continent, elle
devait en trouver. Les anciennes dynasties étaient effrayées de me voir sur le
trône. Quelques politesses que nous nous fissions, elles voyaient bien que je
n'étais pas un des leurs; car je ne régnais qu'en vertu d'un système qui
détruisait l'autel que le temps leur avait élevé. J'étais à moi seul une
révolution. L'empire les menaçait comme la république; elles le redoutaient
davantage, parce qu’il était plus robuste.
Il n'y a pas d'autres liens entre les peuples que ceux des
intérêts qu'ils mettent en commun.
Il fallait créer mon siècle pour moi, comme je l'avais été
pour lui.
85
Le principe vital de la résistance était en Angleterre;
je n'avais aucun moyen de l'attaquer corps à corps, et j'étais sûr que
la guerre se renouvellerait sur le continent, tant que le ministère anglais
aurait de quoi en payer les frais. La chose pouvait durer longtemps,
parce que les bénéfices de la guerre alimentaient la guerre.
C'était un cercle vicieux, dont le résultat était la ruine
du continent. Il fallait donc trouver un moyen de détruire les bénéfices que la
guerre maritime valait à l'Angleterre, afin de ruiner le crédit du ministère. On
me proposa, dans ce but, le système continental. Il me parut bon, et je
l'acceptai. Peu de gens ont compris ce système. On s'est obstiné à n'y voir
d'autre but que celui de renchérir le café. Il devait avoir de toutes autres
conséquences. Il devait ruiner le commerce anglais.
103
La cour de Vienne a une politique tenace, que les évènements
ne dérangent jamais. J'ai été longtemps avant d'en deviner la cause. Je me
suis aperçu enfin, mais trop tard, que cet état n'avait de si profondes racines
que parce que la bonhomie du gouvernement l'a laissé dégénérer en oligarchie.
L'état n'est plus mené que par une centaine de nobles. Ils possèdent le
territoire et se sont emparés des finances, de la politique et de la guerre. Au
moyen de quoi ils sont maîtres de tout et n'ont laissé à la cour que la
signature. Or, les oligarchies ne changent jamais d'opinions, parce que leurs intérêts
sont toujours les mêmes. Elles font mal tout ce qu'elles font, mais elles le
font toujours parce qu'elles ne meurent jamais. Elles n'obtiennent jamais de succès,
mais elles supportent admirablement les revers, parce qu’elles les supportent
en société. L'Autriche a dû quatre fois son salut à cette forme de
gouvernement;
116
Pour être entière, il ne faut pas qu'une autorité ait des
époques marquées d'avance.
Les opinions avaient marché en Espagne dans un sens inverse
du reste de l'Europe. Le peuple, qui s'était élevé partout à la hauteur de
la révolution, y était resté fort au-dessous ; les lumières n'avaient pas percé
jusqu'à la seconde couche de la nation; elles s'étaient arrêtées à la surface, c'est-à-dire
sur les hautes classes. Celles-ci sentaient l'abaissement de leur patrie, et
rougissaient d'obéir à un gouvernement qui perdait leur pays. On les appelait
les libéraux.
En sorte que les révolutionnaires étaient en Espagne ceux
qui avaient à perdre à la révolution; et ceux qui devaient y gagner ne voulaient
pas en entendre parler. Le même contre-sens a eu lieu également à Naples.
II m'a fait faire beaucoup de fautes, parce que je n'en ai
pas eu la clef d'entrée.
L'homme découragé reste indécis, parce qu'il ne voit
devant lui que de mauvais partis, et ce qu'il y a de pire dans les affaires,
c'est l'indécision.
Jamais entreprise plus téméraire en apparence, ne causa
moins de peine à exécuter; c'est qu'elle était conforme aux maux de
la nation, et que tout devient facile quand on sent l'opinion.
L’on peut s'arrêter quand on monte, jamais quand on
descend."
MAIS, si Bonaparte eut de grandes idées, il n'a pas tout prévu,
et le résultat pratique de ses grandes et bonnes idées fut de donner le pouvoir
à la bourgeoisie, càd à l'argent:
Réponse de Nicolas (L'étang de Précigny par Elie Berthet):
"— Ainsi donc, s'écria enfin Mathurin, en levant les yeux au
ciel d'un air de reproche, tout nous abandonne! Le pauvre, aujourd'hui, ne
trouve nulle part ni protection ni appui... Est-ce donc pour cela qu'on a versé
tant de sang et qu'un a fait des révolutions ?
— Personne ne s'inquiète de nous maintenant que nous avons
des droits écrits sur le papier, dit Nicolas avec amertume ; autrefois,
sous l'ancien régime, quand nous avions des maîtres et des seigneurs, nous
étions plus heureux... Oui, mes amis,
continua-t-il en s'animant, si autrefois une population entière de pauvres
paysans avait été menacée de destruction comme nous le sommes, des hommes puissants,
dans leur propre intérêt, eussent pris en main notre cause, ils nous eussent fait
rendre justice... Mais au temps où
nous vivons, chacun pour soi et Dieu pour les riches ... Si nous ne pouvons
nous sauver nous-mêmes, on nous laissera périr.
Quelques gémissements répondirent aux regrets impuissants du
vieillard. Mathurin seul crut devoir protester contre ses paroles.
— Vous êtes de l'ancien régime, père Nicolas, reprit-il; vous
vous souvenez d'avoir été jardinier au château de Précigny, et vous êtes trop
disposé à mal juger du temps où nous vivons...Pourquoi ne trouverions-nous plus
d'honnêtes gens pour nous plaindre et nous protéger ?
— C'est que, mon pauvre Mathurin, les honnêtes gens, aujourd'hui,
aiment le calme et le silence; ils ne se soucient pas d'affronter les inimitiés
redoutables pour un intérêt qui n'est pas le leur..."
Le plus grand héritage de Napoléon, ce sont ses lois,
il le dit lui-même.
Mais, si Napoléon croyait dans ses lois,
c'est qu'il croyait aux hommes.
Or, tant qu'il était là pour veiller à ce que ses lois, juste en elles-mêmes,
profitent à tous,
son tort a été de ne pas voir que,
quand il ne serait plus là,
ses lois ne profiteraient plus qu'à certains ...
"Monsieur Laurent, le maître de cette usine devenue si fatale
aux habitants de Précigny, n'était pas précisément, malgré la haine de ses
voisins, un méchant ou un malhonnête homme.
C'était un de ces spéculateurs, assez communs à notre époque
d'industrialisme, qui prennent volontiers le bien-être matériel de la société
pour son intérêt suprême, et qui, de la meilleure foi du monde, croient rendre
service à l'État en faisant leur fortune. Auprès de pareilles gens, le désir
d'acquérir se substitue tout naturellement aux sentiments de générosité, de
grandeur, de fraternité humaine; le génie des affaires éteint le cœur; une
sèche et impitoyable raison étouffe les idées morales, que l'on s'habitue à
regarder comme de vaines futilités."
Napoléon fut l'un des premiers à parler de l'Europe, et non seulement à en parler mais à en poser les fondements. Mais, alors que ce visionnaire avait rêvé une Europe des peuples, l'histoire a enfanté une Europe des intérêts, et pas des meilleurs ...
Napoléon fut l'un des premiers à parler de l'Europe, et non seulement à en parler mais à en poser les fondements. Mais, alors que ce visionnaire avait rêvé une Europe des peuples, l'histoire a enfanté une Europe des intérêts, et pas des meilleurs ...
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