« Faisons aujourd'hui, si nous voulons, les fiers, les
rois de la création; mais n'oublions pas notre première éducation sous la
discipline de la nature. Les plantes, les animaux, voilà nos premiers
précepteurs.
Tous ces êtres que nous dirigeons, ils nous conduisaient alors,
mieux que nous n'aurions fait nous-mêmes. Ils guidaient notre jeune raison par
un instinct plus sûr; ils nous conseillaient, ces petits, que nous méprisons
maintenant. Nous profitions à contempler
ces irréprochables enfants de Dieu: calmes et purs, ils avaient l'air dans leur
silencieuse existence de garder les secrets d'en haut.
L'arbre qui a vu tous
les temps, l'oiseau qui parcourt tous les lieux, n'ont-ils donc rien à nous
apprendre ? L'aigle ne lit-il pas dans le soleil et le hibou dans les ténèbres ?
Ces grands boeufs eux- mêmes, sous le chêne sombre, n'est-il aucune pensée dans
leurs longues rêveries ? »
Jules Michelet, Origines du droit français
— Et puis, mademoiselle, n'avons-nous pas pour nous occuper,
quand nous sommes en sentinelle, le spectacle toujours varié et toujours
nouveau de la nature ? Je n'ai reçu qu'un commencement d'instruction, et peut-être
suis-je bien hardi de penser de semblables choses; mais, à mon avis, l'homme
n'est pas au monde pour vivre constamment dans des maisons où il manque d'air
et de lumière, où il voit seulement des objets crées par lui, quand il n'a qu'à
sortir pour se trouver en présence de la création de Dieu. Les animaux ne
sauraient apprécier ce qu'il y a de grand et de beau dans l'univers ; mais
l'homme le peut, et certainement c'est son devoir de le faire.
Je trouve dans l'accomplissement de ce devoir des
jouissances dont je ne me lasse jamais, car elles sont constamment avivées par
des merveilles inattendues. Ainsi, par exemple, mademoiselle, depuis plus de
trente ans, il ne s'est pas passé de jour que je n'aie vu le soleil se lever ou
se coucher, soit dans nos climats tempérés, soit sous le ciel brûlant des
tropiques, soit sous le ciel glacé du pôle.
Eh bien ! Je n'ai jamais vu le
soleil se coucher comme il est maintenant, je ne l'ai jamais vu se lever comme
je le verrai demain matin; à chaque instant ce sont des aspects inconnus et nouveaux.
De même pour la mer, je l'ai observée sous toutes les latitudes, par tous les
vents, en toutes saisons, à toutes les heures du jour et de la nuit, et je ne
l'ai pas trouvée deux fois semblable à elle-même, je ne l'ai pas vue deux fois
avec les mêmes effets, les mêmes allures, les mêmes couleurs...
Je l'étudie
sans cesse et je prends toujours plaisir à l'étudier, car cette étude-là,
j'imagine, vaut bien celle que les savants des villes font dans leurs livres et
leurs écritures.
— Avec de pareils goûts et de pareils sentiments, monsieur,
demanda Léonie, vous devez être très religieux !
— Si vous voulez dire par là, mademoiselle, que je me crois
sans cesse en présence de Dieu et qu'il se manifeste constamment à moi, vous
avez bien raison. Dans les maisons et même dans les églises on pourrait douter de
lui, mais quand on voit chaque jour ce que je vois, l'incrédulité devient
impossible.
Elie Berthet, Le douanier de mer