Les trois fondements de l’univers que sont l’apparition
successive de la matière, de la vie et de la conscience restent totalement
inexpliqués alors qu’ils forment à eux seuls ce qui est et ce que nous sommes.
De l’absence de matière à la matière : c’est
l’apparition de l’univers physique.
De l’absence de vie à la vie : c’est l’apparition de la
matière groupée en unités indivisibles et reproductibles conscientes d’être ce
qu’elles sont, les êtres vivants.
De l’absence de ‘conscience de la conscience de soi’ à la ‘conscience
de la conscience de soi’ : c’est l’apparition de l’homme.
Il n’y a pas de fumée sans feu. Il n’y a pas d’œuf sans
poule, et inversement, mais l’œuf suit la poule. La matière n’est pas apparue
de rien. S’il y a quelque chose, c’est parce qu’il y a toujours eu et qu’il y
aura toujours quelque chose même si c’est autre chose. Le néant est une figure
rhétorique sans réalité. Pour que la vie apparaisse, il fallait un support, la
matière. Pour que la conscience apparaisse, il fallait un support, la vie. De
même que l’apparition de la vie dans un univers de matière est tout aussi
inexplicable que l’apparition de la conscience, qui sont respectivement sans
aucun point commun avec leur milieu d’origine, la matière a forcément eu un
support précédant son apparition et sans point commun avec elle. Stephen Hawking était un idiot inutile en
ayant affirmé qu’avant l’univers il n’y avait rien. C’est tout autant
impossible que de dire qu’avant la vie ou avant la conscience il n’y avait
rien, qu’avant l’œuf il n’y avait pas de poule, qu’avant la fumée il n’y avait
pas de feu.
Avant le « quelque chose » que nous connaissons,
il y avait « autre chose ». Or, cet ‘autre chose’ doit avoir laissé
des traces et ces traces ne peuvent être que dans ce qui est incompréhensible
en fonction de notre ‘quelque chose’. Et justement, nous avons découvert depuis
environ un siècle un monde incompréhensible au sein de notre univers
explicable, le domaine quantique. Les propriétés de la physique quantique qui
sont en dehors des lois connues du monde pourraient bien être la trace de cet
‘autre chose’ qui non seulement précédait notre réalité mais qui en est la source
comme la matière fut source de vie et la vie source de conscience sans que ces
sources disparaissent pour autant bien au contraire.
En dehors même de la physique quantique, l’homme se
confronte parfois à ces sortes de ‘miracles’ que sont les coïncidences, les
prémonitions et toutes ces sensations inexplicables comme sentir que quelqu’un
vous regarde, se réveiller une seconde avant que le réveil sonne, preuves que
le monde tel que nous l’appréhendons n’est pas seulement ce qu’il paraît être
et qu’il existe un univers caché relié à l’univers visible. Il est même
probable que la réalité de cet univers secret est en fait la seule vraiment
réelle de par sa nature immatérielle non soumise aux changements, aux
dégradations et à la mort. C’est la thèse de Bernard d’Espagnat et d’autres
développée ci-après par Jean Staune.
http://www.jeanstaune.fr/
(Lothar Schäfer
Département de Chimie et de Biochimie
Université de l’Arkansas,
Fayetteville, Arkansas 72701 U.S.A)
L’importance des états virtuels dans l’émergence de l’ordre
complexe dans l’univers
Ces considérations simples démontrent que l’émergence de
nouvelles formes complexes aux niveaux atomique et moléculaire ne provient pas
de rien - de nihilo - mais bien de l’actualisation d’états virtuels dont
l’ordre logique est déjà déterminé avant qu’il ne fasse partie du domaine
actuel du réel. Étant donné que tous les systèmes matériels sont composés
d’atomes et de molécules, l’affirmation selon laquelle l’émergence de l’ordre
complexe dans l’univers évoluerait à partir du néant ne peut être envisagée.
Les états virtuels peuvent être décrits comme des Entités
Parménidiennes. Parménide croyait que tout mouvement n’est possible que s’il
existe de l’espace vide dans lequel un objet peut se déplacer. Cependant, étant
donné qu’il pensait également qu’il n’existe pas d’espace vide, il affirmait en
quelque sorte que rien ne peut se mouvoir. Les systèmes quantiques renouvellent
et affinent le principe parménidien : un système a besoin d’états vides
(potentiels ou virtuels) afin de pouvoir changer. Si tous les états d’un
système matériel sont occupés, ce dernier ne pourra rien faire. Sans l’ordre
virtuel de la réalité, rien de nouveau ne peut se passer.
Il est possible de considérer que l’univers tout entier est
un système quantique. Ses états occupés forment la partie visible de la
réalité. De plus, nous devons supposer qu’il y ait un nombre infini d’états
cosmiques virtuels. On peut considérer les états cosmiques virtuels comme des
idées platoniciennes. Puisqu’ils n’ont pas de réalité actuelle, l’ordre qu’ils
définissent est un ordre transcendant qui existe avant d’être exprimé dans le
monde matériel. L’actualisation d’états virtuels est le mécanisme par lequel le
monde matériel s’actualise et se sépare de la totalité indivisible de l’ordre
transcendant de l’univers.
Le concept des états virtuels fait revivre l’idée historique
de formes comme « principe métaphysique de tout être », ou comme « arché de
toutes les choses » comme Hirschberger le décrit (Hirschberger, 1976, vol.1,
p.24). Les états virtuels sont des formes pures, dépourvues de matière et
d’énergie. Dans la métaphysique d’Aristote, il n’y avait qu’une seule forme
pure, à savoir Dieu. Dans la réalité quantique, l’actualisation du monde
matériel est une émanation du domaine virtuel de la réalité, dont la nature est
d’une totalité indivisible. Dans la métaphysique de Plotin, Dieu est l’Un et le
réel n’est pas une création de l’Un, mais une émanation débordant du divin. De
même, St. Augustin croyait-il que les formes éternelles étaient des pensées
dans l’esprit de Dieu. Sans doute, les philosophes anciens auraient pu dire
qu’à travers les états virtuels, la Réalité Divine luit dans la réalité
humaine.
L’émergence de l’ordre complexe dans l’Univers
L’ordre visible de l’univers est l’expression phénotypique
d’un ordre plus profond, à savoir celui de la réalité quantique. Les entités de
cet ordre ne sont pas de simples versions miniaturisées de choses ordinaires.
Elles sont fondamentalement différentes.
La base des thèses présentées dans cet exposé est un
postulat d’ontologie quantique : tout ce que nous voyons, tout ce qui est réel
dans le sens usuel de ce mot, est l’actualisation d’un état quantique ; tout ce
qui est possible est déposé dans des états virtuels.
En biologie, l’ADN est une molécule comme les autres. Les
molécules d’ADN qui « existent » comme particules matérielles sont des états
quantiques actualisés. Les formes de toutes les molécules d’ADN possibles - des
mutations d’ADN existant en tant que morceaux actuels de matière - sont
déposées dans des états virtuels. Étant donné la non-séparabilité du réel, on
peut penser que ces états ne sont pas seulement les états d’une molécule
individuelle mais qu’ils sont également des états cosmiques. C’est-à-dire que
les états qui peuvent s’actualiser en molécules d’ADN font partie de la
structure quantique de l’univers par laquelle ils sont conditionnés et à partir
de laquelle ils sont actualisés.
L’actualisation d’états virtuels d’ADN peut mener à des
variations phénotypiques, qui sont ensuite évaluées par la sélection naturelle.
Dans ce processus, l’émergence de l’ordre complexe de la biosphère ne provient
pas du néant, comme le prétendent les darwiniens, mais de l’actualisation de la
logique d’états virtuels, qui préexiste à la réalité actuelle de ces états. Si
les sauts d’un état à un autre sont dus au hasard, l’ordre dans lequel les
états sont actualisés par ces sauts, lui, ne l’est pas.
Puisque les mutations sont dues au hasard, il est souvent
soutenu que les variations provoquées par les mutations le sont également. «
D’un jeu totalement aveugle », écrivit Monod, « tout, par définition, peut
sortir, y compris la vision elle-même » (Monod, 1970, p.128). Monod avait
raison : Tout peut sortir d’un jeu. Mais un jeu aveugle ne peut pas créer le
tout qui sort de lui. La sélection naturelle ne crée pas ce qu’elle choisit,
elle ne peut que choisir parmi ce qui a émergé de la structure quantique de
l’univers. Avant la sélection naturelle cumulative a lieu l’émergence
cumulative pour laquelle la sélection naturelle ne joue aucun rôle. Dans la
perspective quantique, l’émergence cumulative vient de l’ordre virtuel de
l’univers. Dans la perspective darwinienne, elle émerge du néant. Dans le monde
matériel, au contraire, rien n’émerge du néant et l’actualisation d’états
virtuels est un modèle réaliste qui montre comment un ordre cosmique virtuel et
invisible préétabli peut s’exprimer spontanément dans le monde matériel.
L’univers regorge d’états vides qui n’ont pas encore provoqué un événement
actuel. En jouant sur les mots de Wheeler, on peut dire que l’univers est
davantage rempli de virtualité que d’actualité.
La non-séparabilité de la réalité physique nous a été
démontrée par des expériences au cours desquelles des particules élémentaires
interagissent instantanément les unes avec les autres à travers de longues
distances. Des expériences réalisées à partir du théorème de Bell (Bell, 1965,
1988 ; Aspect et coll. 1981, 1982 ; d’Espagnat, 1981a ; Shimony, 1991) ont
démontré que deux particules qui interagissent à un moment donné avant de
s’éloigner l’une de l’autre, peuvent rester connectées et continuer à agir
comme une seule et même entité, quelle que soit la distance les séparant. Si le
réel est non séparable, la nature de l’univers, elle, est d’une totalité indivisible.
Dans ce cas, les états de tous les systèmes individuels, y compris les états
moléculaires, sont des états cosmiques qui ont émergé de la totalité cosmique
tout en en faisant partie.
De cette façon, des états moléculaires peuvent exister dans
l’espace cosmique virtuel avant que les molécules correspondantes n’existent en
tant que morceaux actuels de matière. Il est donc possible que les états
quantiques qui s’actualisent dans l’ADN aient déjà fait partie de la structure
virtuelle de l’univers à une époque où il n’y avait pas encore, sur notre
planète, de molécules d’ADN réelles. Puisque tout ce qui peut se passer dans la
réalité quantique doit advenir (lorsque le temps le permet), on aurait pu
prédire que l’émergence spontanée de la vie était inévitable et qu’elle n’était
pas un événement unique dans l’espace et dans le temps. Sur le même fondement,
on peut examiner la convergenceexistant dans l’évolution biologique ;
c’est-à-dire le développement indépendant d’analogie ou de similarité d’espèces
différentes.
Il est aussi possible de penser que chacun de nous est
l’actualisation d’un groupe d’états quantiques qui existaient déjà comme états
virtuels avant notre naissance et qui continueront à exister après notre mort.
Je suis reconnaissant à une de mes étudiantes, Lacy Fincannon, de m’avoir fait
savoir qu’une citation biblique décrivait cette situation (Jérémie, 1.5) : «
Avant que je t’eusse formé dans le ventre de ta mère, je te connaissais. »
En résumé :
Dans chaque processus dynamique, un système ‘S’ passe d’un
état actuel qu’il occupe à un état possible ou virtuel, qui est vide. Chaque
processus dynamique, chaque transformation, chaque émergence de formes
nouvelles sont liés à des passages de l’actuel au potentiel et du potentiel à
l’actuel. C’est une sorte deconservation de l’actuel : pour chaque état sautant
dans le domaine actuel du réel, un autre état actuel doit, lui, sauter dans le
domaine virtuel. Il y a, au niveau des systèmes élémentaires, une danse
frénétique : du transcendant à l’actuel, de l’actuel au transcendant - c’est
aussi simple que cela.
Il est un aspect important de ce processus qui est que les
mutations possibles de S y sont programmées avant qu’elles ne soient
actualisées. Étant donné que la nature du réel est celle d’une totalité
indivisible, on peut penser que ce même principe s’applique à l’univers tout
entier ; c’est-à-dire que tout changement potentiel dans l’univers est
programmé à l’avance dans sa structure virtuelle. C’est ainsi que la découverte
des états virtuels des molécules suggère l’existence d’un ordre cohérent, non
matériel et sous-jacent à la réalité. C’est un ordre qui est tout à la fois
immanent et transcendant parce qu’il est contenu dans les choses en tant que
formes invisibles. Cet ordre n’est pas nécessairement un ordre statique, mais
il est possible de penser qu’il évolue lui-même avec l’univers entier.
Quelque évidence de la nécessité d’une perspective quantique
de l’évolution
L’argument fréquemment avancé contre la perspective
quantique de l’évolution (Schäfer, 1997-2006), est que les biomolécules sont
trop grandes pour être considérées comme des systèmes quantiques et qu’il
suffit de les traiter comme des corpuscules newtoniens. Bien que cet argument
prédomine actuellement l’univers des biologistes, il existe assez de preuves
démontrant qu’il n’est pas viable.
Par exemple, dans les études théoriques des structures
moléculaires des peptides et des protéines, des calculs réalisés à partir des
méthodes de la chimie quantique (Van Alsenoy, 1998 ; Jiang et coll., 1995 ;
Schäfer et coll. 1982) ont prévu des aspects de structure moléculaire des
protéines entièrement confirmés par des études cristallographiques des
protéines, cependant non obtenus par les méthodes classiques (non quantique) de
modélisation. Ces tendances de structure moléculaire représentent un effet
nettement quantique dans les protéines.
Dans les calculs quantiques des propriétés des cristaux
d’argile (voir p. ex. Teppen et coll. 2002), la taille d’un cristal de minéral
doit être extrapolée à l’infini afin que les résultats obtenus s’accordent avec
les données expérimentales. De telles études montrent que tous les systèmes,
quelle que soit leur taille, sont des systèmes quantiques.
L’oxydase cytochrome est une protéine géante, dotée d’un
poids moléculaire de quelques 400 000 Dalton. Elle a une fonction importante
dans le transfert d’électrons dans les cellules vivantes que Millett et Durham
ont étudié par le biais des méthodes spectroscopiques. (Millett et Durham,
2002). Les phénomènes moléculaires spectroscopiques sont toujours liés à
l’absorption ou l’émission de quanta d’énergie échangeable, accompagnée du
passage d’une molécule d’un état quantique à un autre. De tels phénomènes
rendent totalement impossible la thèse selon laquelle des molécules grandes
comme l’oxydase cytochrome puissent être considérées comme des corpuscules
newtoniens non quantifiés.
En-dehors de telles observations spécifiques, il est
nécessaire de poser les questions suivantes : « Que peut signifier la
non-séparabilité du réel dans le cas de l’origine de la vie ? Que signifie,
pour l’ordre biologique, la découverte des états virtuels moléculaires ?
Quelles significations les propriétés rudimentaires de conscience des entités
quantiques (voir ci-dessous) ont-elles quant à la nature de la vie évoluant
dans la biosphère ? » Ces questions ne sont pas sans importance du fait que
leurs réponses potentielles ne sont pas à la portée de nos procédés
expérimentaux actuels. Il semble plus maladroit de les ignorer que de les
examiner.
Dans les analyses statistiques de l’évolution biologique, le
temps passé depuis la naissance de notre planète est souvent jugé insuffisant
pour un processus devant permettre à la vie d’évoluer à partir du néant par le
biais de variations dues au hasard (Spetner, 1997). À cet égard, le modèle des
états virtuels offre également une solution : il prend beaucoup moins de temps
de révéler par hasard un ordre complexe qui est déjà établi dans des états
virtuels que de créer par hasard le même ordre complexe à partir du néant.
L’une des célèbres déclarations de Darwin était que « la
Nature ne fait pas de sauts ». La physique contemporaine nous a, au contraire,
appris entre temps que la Nature ne fait rien que des sauts, à savoir des sauts
quantiques. Étant donné que la succession des niveaux évolutionnaires n’est
généralement pas graduelle, il semble que l’évolution biologique ne soit pas
dispensée de cette loi. La théorie de l’équilibre ponctué (« punctuated
equilibrium », Gould & Eldredge 1993 ; Eldredge & Gould 1972) tente
d’expliquer les observations géologiques qui révèlent « l’émergence géologiquement
instantanée et la stabilité qui s’en ensuit (souvent durant des millions
d’années) de ‘morpho-espèces’ paléontologiques ». Un tel processus - le
changement rapide et spontané d’un système à partir d’un équilibre stable et
durable vers un nouvel état - porte toutes les marques d’un processus quantique
et l’on trouve facilement des situations analogues parmi les systèmes
quantiques. Spécifiquement, une telle conduite est caractéristique pour des
systèmes comportant des états quantiques croisés : l’iodure de sodium, formule
chimique Nal, en offre un exemple simple. (J.D.Ewbank et coll., 1994).
Lorsque l’iodure de sodium se trouve dans un de ses états
moléculaires liants, la séquence temporelle des maxima de probabilité de
présence correspond à un mouvement cyclique entre distances courtes et longues
(Ewbank et coll., 1994). L’un des états de NaI, l’état Nal(0+), est croisé par
un état antiliant à une distance Na...I de 720 pm. À chaque fois que le système
dans son mouvement cyclique croise le point d’intersection, une partie de la
population moléculaire passe spontanément de l’état Nal(0+) à l’état antiliant
tandis que le reste des molécules continue dans son état originel. Dans les
calculs quantiques de ce processus (Ewbank et coll., 1994), le branchement est
indiqué par une bifurcation de la probabilité de présence.
Dans cet exemple, une population moléculaire subit de
longues périodes de stase (le maintien dans le même état quantique), ponctuées
par de courtes périodes de passage spontané d’une partie de la population à un
état différent. Naturellement, l’exemple de NaI est très simple et ses
processus électroniques se passent dans le domaine de picosecondes. Néanmoins,
l’analogie avec l’équilibre ponctué d’une lignée verticale dans l’évolution biologique
est évidente. On commence à penser que les équilibres ponctués dans l’évolution
biologique signalent le passage d’entités quantiques - sans aucun doute
infiniment complexes - d’un état à un autre.
Sélection Quantique
La mutation d’une molécule d’ADN est un processus quantique
au cours duquel un état virtuel d’ADN est actualisé. Puisque, pour chaque
molécule d’ADN, de nombreux états virtuels existent qui peuvent être
actualisés, un choix est réalisé durant une mutation. Ce choix représente un
mode de sélection, mais non une sélection naturelle ; on pourrait l’appeler
sélection quantique. Nous ne connaissons pas les états quantiques qui
déterminent le cours d’une mutation. Par conséquent, nous ne savons pas si la
sélection quantique joue un rôle important dans l’évolution biologique.
Néanmoins, ce concept est important parce qu’il montre que la sélection
naturelle n’est pas seule à diriger l’évolution. La sélection naturelle est
contrôlée par la sélection quantique.
La Sélection Quantique décrit un vrai effet quantique : le
hasard classique peut mener à n’importe quoi. Le hasard quantique ne peut mener
que d’un état bien défini à un autre état bien défini ; jamais à un point
arbitraire situé entre les deux. Par exemple, un atome d’hydrogène possède un
nombre infini d’états n, l, m, comme ceux présentés en figure 1. Mais cela ne
veut pas dire qu’un tel atome puisse produire des probabilités de présence avec
des formes arbitraires. Par exemple, un atome d’hydrogène peut passer de l’état
(1,0,0), dont la probabilité de présence a la forme d’une sphère, à l’état
(2,1,0), dont la probabilité de présence a la forme approximative de deux
ellipsoïdes déconnectés, ou à un état (3,2,1) avec une forme de quatre
ellipsoïdes (voir figure 1). Mais un atome d’hydrogène ne peut pas sauter dans
une boîte (c’est-à-dire, dans un état dont la probabilité a la forme d’une
boîte) parce que, malgré le fait que le nombre d’états possibles est infini, un
tel état n’existe pas.
De même, est-il possible que l’évolution ait procédé en
partant des poissons pour mener jusqu’aux amphibiens, puis aux mammifères et
aux êtres humains. Mais elle n’a pas pu procéder à partir des poissons en
passant par les griffons et les basilics pour arriver aux hommes ailés parce
qu’il n’existe pas d’états cosmiques virtuels qui puissent s’actualiser dans de
tels êtres mythiques.
La sélection quantique révèle que dans l’évolution
biologique, le hasard quantique n’a rien en commun avec le hasard darwinien.
Pour les darwiniens, l’ordre émergent est un saut dans le néant et est créé par
le hasard, un « bruit » que la sélection naturelle transformera en musique
(Monod 1970, p152). Dans l’émergence de l’ordre complexe par les états virtuels
actualisés (EVA), la musique fait partie d’un concert cosmique continu qui
n’est que révélé par des sauts quantiques. Dans la perspective quantique, le
hasard est déterminant quant à si un saut va avoir lieu ou non et il choisit
l’état qui sera actualisé. Cependant, les sauts n’ont pas lieu dans le néant
mais dans le domaine de potentialité de la réalité, et la logique de
l’aboutissement des sauts ne doit rien au hasard. Les deux vues à propos du
hasard, à savoir la vue darwinienne et la vue quantique, s’accordent également
avec les observations accumulées par les biologistes en documentation des
données de l’évolution. Cependant, seul l’EVA est compatible avec la
compréhension générale de la nature quantique des molécules.
Dans la spectroscopie électronique des molécules, le
principe de Franck-Condon indique que le passage entre deux états quantiques
est aisé si les fonctions d’onde des deux états se ressemblent. Il est possible
de penser que le passage entre deux états (ou groupes d’états) qui
s’actualisent dans des formes de vie variées est également réglé par un tel
principe. Pour chaque état actuel d’une forme de vie, existent des états
virtuels avoisinants auxquels un système peut accéder. Parmi ces états
avoisinants, quelques-uns mèneront à des formes de vie variées plus complexes tandis
que d’autres mèneront à des formes moins complexes. Si les premières sont
favorisées par la sélection naturelle, ce programme définit une direction
naturelle vers des êtres de plus en plus complexes. L’aspect important est que,
parmi les mutations (changements d’état) possibles, quelques-unes doivent mener
à des organismes plus complexes. Au contraire, le hasard darwinien, aveugle,
est lui davantage nocif que créatif. De cette manière, il est possible de
proposer que, si l’ordre biologique émerge à partir d’états virtuels, la
progression de l’évolution devra mener à des formes de vie de plus en plus
complexes.
Dans les systèmes macroscopiques, il arrive souvent que les
changements de propriétés dynamiques paraissent être classiques, c’est-à-dire
non quantifiés, alors qu’ils ne le sont pas. Par exemple, la roue d’une voiture
qui ralentit ne décélère pas de façon continue. Elle passe d’un état quantique
de rotation à un autre, via des sauts quantiques contrôlés par des changements
de nombres quantiques. Le ralentissement d’une roue macroscopique semble être
un processus continu parce que les différences entre les niveaux d’énergie sont
extrêmement ténues en comparaison de la taille de la roue. Pourtant, ces
différences sont quantifiées et non continues ; non analogiques, mais
numériques. De même, l’émergence de l’ordre dans la biosphère semble venir du
néant alors qu’il n’en est rien !
La perspective quantique montre que l’interprétation
darwinienne de l’évolution biologique est incomplète. Tout comme la physique de
Newton, la biologie de Darwin se rapporte à la surface mécaniste des choses. La
théorie de Darwin n’est pas fausse, mais une vue compréhensible du monde
nécessitera qu’on leur intègre les propriétés quantiques de la matière. Le
darwinisme orthodoxe est l’application de la technologie des machines à vapeur
aux circuits intégrés de la vie.
Quelques conséquences métaphysiques de la perspective
quantique du réel
L’importance de la conscience dans les processus de
l’univers
Les philosophes idéalistes allemands de la fin du 18e et du
début du 19e siècle souhaitaient réconcilier les positions divergentes des
empiristes et des idéalistes et essayaient d’unir objet et sujet en attribuant
à l’Esprit (conscience ou raison) la toute puissance en tant que source du
réel. À l’heure actuelle, on peut reprendre le programme de l’idéalisme sur la
base de la réalité quantique, qui laisse entrevoir l’importance de la
conscience dans les processus de l’univers et qui nous permet de penser que la
nature du réel peut être semblable à celle d’un esprit. Par conséquent, nous
pouvons également penser que toutes nos convictions métaphysiques prennent
racine dans la même source - à savoir l’élément de Conscience qui est actif
dans l’univers, source de l’ordre physique extérieur et des principes
métaphysiques intérieurs de nos esprits.
Pour produire un effet physique au sein de notre réalité
habituelle empirique, il faut dépenser de l’énergie. Par exemple, pour agiter
un objet, il est nécessaire de le pousser ; ne faire qu’y penser ne va pas
réaliser la tâche.
Les systèmes quantiques sont différents. Dans certaines
conditions, ils changent de comportement lorsque l’information que nous avons
sur leurs états elle-même change. Au cours de la diffraction des particules
isolées, par exemple, la soi-disant « information-quelle-voie » détruit la
cohérence (M. O. Scully et coll., 1991 ; T. Pfau et coll., 1994).
« On peut supposer » écrivit Wheeler « que l’information
soit située au coeur de la physique, précisément comme elle est située au coeur
d’un ordinateur. » (J. A. Wheeler et K. Ford, 1998, p.340). Lorsqu’ils
traversent un système de fentes, les électrons semblent savoir combien de ces
fentes sont ouvertes et combien d’entre elles sont fermées. Ils adaptent alors
leurs comportements en fonction de cette information. Dans le vide, des paires
de particules peuvent surgir de nulle part à condition qu’elles n’existent que
durant une période de temps si courte que nous ne pouvons savoir avec certitude
qu’elles ont vraiment existé. Une particule formant un état singulet avec une
autre particule semblesavoir, à distance, si une mesure a été ou non effectuée
sur sa jumelle. Stapp (1977) : Le mystère qui réside au coeur de la théorie
quantique est de savoir « comment l’information peut circuler à une telle
vitesse ? Comment la particule sait-elle qu’il y a deux fentes ? Comment
l’information sur ce qui se passe partout ailleurs est-elle collectée afin de
déterminer ce qui est susceptible de se produire ici ? Comment la particule
sait-elle qu’on l’a cherchée dans un lieu éloigné sans la trouver ? » Wiener
écrivit : « L’information, c’est de l’information, et pas de la matière ou de
l’énergie. Aucun matérialisme, qui ne permet pas cela, peut survivre dans le
temps actuel » (Wiener, 1961, p.132).
Dans le monde des objets ordinaires, un esprit ou une
conscience sont les seules entités connues qui puissent réagir à un changement
d’information. Au fond même de la réalité se trouvent des entités possédant des
propriétés semblables à un esprit, et un principe qui n’est ni matériel ni
énergétique - l’information - peut se comporter en agent effectif. Face à de tels
phénomènes, nous pouvons dire que les particules élémentaires ont des
propriétés rudimentaires de conscience.
Polkinghorne (1998 p.6) a appelé ce phénomène « causalité
par information active ». Eddington fut inspiré d’écrire, « L’univers a la
nature d’une pensée ou d’une sensation au sein d’une Conscience universelle...
L’étoffe du Monde est de l’étoffe-esprit » (Eddington, 1939, p.151 ; et 1929,
p.158). Et Jeans écrivit, « L’Esprit n’est plus un intrus accidentel dans le
royaume de la matière, nous commençons au contraire à soupçonner qu’il sera
nécessaire de l’accueillir comme l’auteur et gouverneur de la matière. » (J.
Jeans, 1931, p.146)
Les aspects rudimentaires de la conscience des objets
quantiques se manifestent en de nombreux phénomènes. La nature des ondes de
probabilité dépourvues de matière est plus proche de la nature d’une pensée que
de celle d’une chose. La capacité limitée des états électroniques à stocker des
électrons est la base du tableau périodique des éléments et de l’ordre visible
de l’univers. Ce phénomène n’est pas le résultat d’une quelconque force
mécanique inconnue mais d’un principe mental ; c’est-à-dire celui de la
symétrie des fonctions d’ondes des particules élémentaires. Finalement, dans
les sauts quantiques, les systèmes quantiques agissent spontanément. Et
l’esprit est la seule chose que nous connaissions qui puisse agir de cette façon.
La conclusion en est ici inévitable : la nature du fond de la réalité est
semblable à celle d’un esprit.
En physique, la spontanéité est l’absence de causalité.
Eddington remarquait qu’ « en cas d’absence de causalité, il n’y aurait plus de
distinction entre le naturel et le surnaturel » (A. S. Eddington, 1929, p.
309). Ainsi s’efface au niveau quantique de la réalité la ligne de démarcation
entre le naturel et le surnaturel. Les deux royaumes convergent, comme la
physique et la métaphysique, le matériel et le mental, la mécanique et le
téléonomique. Immanquablement, on a l’impression que la réalité quantique a
révélé tous les aspects d’une réalité transcendante (L. Schäfer, 1997 ; et
2004). (Pour des exposés excellents et détaillés des aspects étonnants de la
réalité quantique, voir les livres et essais de Bernard d’Espagnat 1976-2002).
De cette façon, la physique moderne s’est-elle rapprochée
des thèses des idéalistes allemands qui ont proposé qu’un Esprit ou une
Conscience soient la source de tout être. À part chez Kant (1724-1804), des
parallèles existent entre la réalité quantique et la philosophie chez Fichte
(1762-1814), Schelling (1775-1854) et Hegel (1770-1831).
Dans la philosophie de Fichte, le monde extérieur qu’il
appelait le non-ego (le non-moi, nicht-Ich ou altérité) est la création de
l’ego (le moi, das Ich) qui est le centre de l’esprit humain ou de notre
conscience. La nature de l’ego est celle d’une activité incessante.
Conformément à cette nature, au début, l’ego pose son propre être par un acte à
travers lequel il est à la fois « l’acteur et le produit de l’acte ; l’actif et
ce qui est généré par l’activité » (Horstmann, 2005, p.124). Ensuite, l’ego
pose (crée) la réalité externe des objets séparables (le non-moi) comme une antithèse
de soi-même, se délimitant et se divisant spontanément avec une liberté
absolue, comme dans un saut quantique. De ces prémisses s’ensuit une synthèse
dialectique : le contraste entre la thèse (l’ego) et l’antithèse (le non-ego)
se résout dans la perception de leur unité dans un ego absolu. (Hirschberger,
1981, p.368).
Comme démontré ci-dessus, les phénomènes quantiques nous
permettent de proposer que le monde visible se soit séparé de la totalité d’une
réalité indivisible par l’actualisation d’états virtuels. Dans l’idéalisme
transcendantal de Fichte, la diversité du monde objectif s’est séparée de la
totalité du moi. Étant séparée de l’esprit, la réalité est créée par la
conscience. Quand la perspective quantique et les thèses idéalistes sont unies,
la totalité de la réalité apparaît comme celle du moi. Inversement, la totalité
du moi est l’extension directe de la totalité de l’univers.Les deux deviennent
identiques - moi/Univers. Si notre ego fait partie de la totalité de la
réalité, le moi est cette totalité, et tout est le moi.
La philosophie de Schelling à ses débuts acceptait l’idée
qu’un esprit soit à la base du réel, mais l’esprit que Schelling voyait
derrière tout être et dans tous les processus d’émergence, était un esprit
objectif et non notre propre esprit. Zöller caractérise l’esprit de l’idéalisme
objectif de Fichte comme « l’être non différencié et absolument non conditionné
derrière toute chose - le point d’origine divin de toutes choses et de toutes
personnes » (Zöller, 2005, p.208). Il s’ensuit que notre propre esprit existe
parce que la réalité même possède le caractère rudimentaire d’un esprit. « La
soi-disant nature inanimée n’est autre que de l’intelligence immature. Par
conséquent, dans les phénomènes de la nature, la lueur du caractère intelligent
est déjà visible, bien que de façon inconsciente... La nature, en fin de
compte, est identique à ce phénomène que nous reconnaissons en nous comme
intelligence et conscience ». (Schelling 1799, « Erster Entwurf eines Systems
der Naturphilosophie », cité par Hirschberger, Vol.2, 1981, p.380.)
Dans son œuvre plus tardive, Schelling se détacha de
l’idéalisme, optant pour une « philosophie transcendantale » puis, pour une «
philosophie d’identité ». (Hirschberger, Vol.2, 1981, p. 382). La philosophie
transcendantale reste sur la thèse selon laquelle il est de la nature de
l’Esprit de s’actualiser dans le monde matériel. Les étapes détaillées de ce
processus décrites par Schelling sont difficiles à suivre, mais les similitudes
avec l’ontologie de la théorie quantique sont frappantes : c’est la nature des
états virtuels de s’actualiser dans le monde matériel.
Dans la philosophie d’identité de Schelling, la réalité
primordiale est définie comme « l’Absolu », ou « le Divin », dans lequel
l’idéal et le réel, sujet et objet, Nature et Esprit sont identiques. « La
Nature est l’Esprit visible, l’Esprit, la Nature invisible, mais dans
l’essence, tout est un » (Hirschberger, Vol.2, 1981, p.385). Toute différence
se trouve résolue dans « l’indifférence absolue » du Divin, qui néanmoins se
différencie dans la diversité du monde visible en s’observant seule ; ainsi,
les états de l’univers sont des pensées dans l’Esprit de Dieu. Ici, on
s’approche bien de la thèse de Hegel selon laquelle c’est Dieu lui-même qui
pense en nous ; que nos pensées sont les pensées de l’Esprit du Monde qui est
le fond de tout être.
Selon Hegel, la structure primordiale de la réalité est «
l’Absolu » ou « l’Esprit Absolu » et tout ce qui existe est l’actualisation de
cette structure. Dans l’idéalisme absolu de Hegel, l’Esprit est tout, il crée
tout, et il est l’unité de l’Être et du Penser, du Sujet et de l’Objet, du Réel
et de l’Idéal, de l’Humain et du Divin. De façon remarquable, Hegel ajouta à
cette thèse le concept de développement, suggérant que Dieu est dans les
processus cosmiques de l’émergence et dans l’histoire, s’abandonnant dans le
monde afin de trouver l’auto-réalisation absolue ou la conscience absolue de
soi (Emundts et Horstmann, 2002, p.35 ; Hirschberger, 1981 ; Küng, 1978 ;
Solomon et Higgins 1993). « Le vrai est la Totalité. La Totalité à son tour est
uniquement l’Être s’accomplissant tout seul par son développement » (Hegel,
Phénoménologie de l’Esprit, 1807 ; citation de l’édition de 1986, p.24).
Dans sa transcription passionnante et saisissante de la «
Phénoménologie de l’Esprit » de Hegel, Küng (1978) décrit le Dieu de Hegel
comme n’étant pas le Dieu du passé, ni celui au-dessus du monde (Dieu au Ciel),
ou bien encore le Dieu-Horloger déiste extérieur au monde, mais un Dieu dans le
monde, traversant l’histoire et évoluant en elle, à la recherche de soi à
partir d’une aliénation de soi-même, un Dieu en développement « qui s’abandonne
au monde, guidant le monde en tant que Nature et finalement en tant qu’Esprit à
travers tous les stades, jusqu’à lui-même et son Être infini et divin. » (Küng
1978, p.177). Hegel développe le concept de Dieu-dans-le-Monde et le
Monde-en-Dieu sans se départir du cadre chrétien, sans se soumettre à un «
athéisme irréligieux » (Küng, 172) menant néanmoins à une nouvelle
compréhension du Divin et du Monde. « Le Dieu de Hegel n’est pas un dieu
au-delà des étoiles qui agit sur le monde de l’extérieur. Au contraire, Dieu
est l’Esprit emplissant tous les esprits dans les profondeurs de la
subjectivité humaine... La création du monde n’est pas perçue comme une
résolution délibérée, aléatoire et abstraite, mais comme quelque chose
d’enraciné dans la nature de Dieu : elle n’est pas considérée dans le contexte
d’une sorte d’émanation (procédant du parfait vers l’imparfait avec au
commencement un âge d’or au Paradis), mais dans le contexte d’une évolution
(procédant de l’imparfait vers le parfait, même si l’évolution des espèces
n’est pas envisagée) » (Küng, 1981, p.189).
L’évolution des espèces biologiques était précisément ce qui
inspira Teilhard de Chardin (1885-1955) au début du 20e siècle à développer une
vision de la réalité qui partage à la fois certains aspects caractéristiques
des théories des idéalistes allemands et de la réalité quantique. Dans la
vision de Teilhard, comme dans la réalité quantique et dans la philosophie
idéaliste, un élément de conscience est actif à tous les niveaux du réel ; le
mental entre de façon naturelle dans le monde matériel ; et l’ordre visible de
l’univers est fondé sur les principes d’un ordre transcendant. Dans la vision
de Teilhard comme dans la Philosophie de la Nature de Schelling, « ... tout
est, au fond, vivant, ou du moins pré-vivant, dans la Nature » (Teilhard, 1955.
p.45.) La matière et la conscience ne sont pas « deux substances » ou « deux
différents modes d’existence » mais « deux aspects de la même Étoffe cosmique »
(Teilhard, 1978, p.25-28). C’est la raison pour laquelle la matière n’est
jamais vraiment « matière morte » mais devrait être appelée « pré-vivante »
(Teilhard, 1956, p.35 et 44).
Selon Teilhard, la vie « n’est pas une singularité
accidentelle de la matière terrestre, ... (mais) un effet spécifique... de la
Matière complexifiée : propriété co-extensive en-soi à l’Étoffe cosmique tout
entière, mais uniquement saisissable par notre regard (à travers un certain
nombre de seuils que nous préciserons) là où la complexité dépasse une certaine
valeur critique au-dessous de laquelle nous ne voyons rien. » (Teilhard, 1956,
p. 34)
« Nous ne pouvons en douter : la Matière dite brute est
certainement animée à sa manière. Complète extériorité ou totale « transience »
sont, comme absolue multiplicité, synonymes de néant. Atomes, électrons,
corpuscules élémentaires, quels qu’ils soient (pourvu qu’ils soient quelque
chose en dehors de nous), doivent avoir un rudiment d’immanence, c’est-à-dire
une étincelle d’esprit. Avant que, sur la Terre, les conditions
physico-chimiques permissent la naissance de la vie organique, ou bien
l’Univers n’était encore rien en soi, ou bien il formait déjà une nébuleuse de
conscience. Chaque unité du Monde, pourvu qu’elle soit une unité naturelle, est
une monade » (Teilhard, 1965, p.74).
De telles pensées représentent un idéalisme pur, mais venant
de la part d’un paléontologue dans le contexte de l’évolution biologique. Pour
Hegel, la Vie et l’Esprit sont un. Pour Teilhard : « La vie est montée de
conscience » (Teilhard, 1955, p.149). Même dans le royaume végétal, une sorte
de « psychisme demeuré diffus » existe qui « croît à sa manière » (Teilhard,
1955, p.150).
De cette façon, Teilhard établit le primat « du psychique et
de la Pensée » (Teilhard, 1955, p.18) dans les processus de l’univers en
opposition totale avec les sciences mécanistes de l’époque classique. Dans tous
ses écrits, « Vie » est synonyme de « Conscience », le processus de l’évolution
biologique est essentiellement l’évolution d’une sphère spirituelle, la
noosphère, et il laisse supposer que la Conscience est la base première de
toute réalité. Comparable à la phénoménologie de Hegel, le processus de
l’évolution est essentiellement l’apparition de l’Esprit qui nous conduit à des
niveaux de conscience de plus en plus profonds, en nous unissant finalement
avec le Divin.
Dans l’idéalisme de Hegel, l’Esprit se pense en nous et
c’est en nous qu’il devient conscient de soi. Dans la vision de Teilhard,
l’évolution semble assumer la nature d’un Esprit qui est capable de conscience.
« Ce n’était donc pas assez de dire, comme nous l’avons fait, qu’en devenant
consciente d’elle-même au fond de nous-mêmes, l’Évolution n’a qu’à se regarder
au miroir pour s’apercevoir jusque dans ses profondeurs et pour se déchiffrer.
Elle devient par surcroît libre de disposer d’elle-même - de se donner ou de se
refuser. Non seulement nous lisons dans nos moindres actes le secret de ses
démarches. Mais, pour une part élémentaire, nous la tenons dans nos mains :
responsables de son passé devant son avenir » (Teilhard, 1955, p. 226).
Avec l’arrivée des êtres humains, l’Esprit a mis toute sa
timidité de côté pour se révéler ouvertement comme la force motrice de
l’évolution, conduisant l’humanité à un point, Point Oméga, où la conscience de
l’humanité s’unira à l’Esprit que Teilhard voyait en activité dans l’univers -
le Christ cosmique (Teilhard 1956, p.165-167 ). Tout comme le Dieu de Hegel, le
Christ de Teilhard est dans le monde, marchant à grands pas à travers son
histoire, guidant la conscience de l’humanité vers son Être divin et infini, où
le processus empirique trouvera sa fin et son achèvement en dehors de
l’espace-temps. (Teilhard 1956, p.165-167). Il est également à noter qu’il
existe des parallèles intéressants entre cette pensée et la tradition
spirituelle de l’Inde (Srivastava, 2001, 2002).
Si le point singulier de convergence de la matière, si le
point Oméga est vraiment la clef de voûte de la noosphère, alors « sous peine
d’être impuissant à former clef de voûte pour la Noosphère, « Oméga » ne peut
être conçu que comme le point de rencontre entre l’Univers parvenu à la limite
de centration et un autre Centreencore plus profond - Centre self-subsistant et
Principe absolument ultime, celui-là, d’irréversibilité et de personnalisation
: le seul véritable Oméga ... Et c’est en ce point, si je ne m’abuse, que sur
la Science de l’Évolution (pour que l’Évolution se montre capable de
fonctionner en milieu hominisé) est introduit le problème de Dieu - Moteur,
Collecteur et Consolidateur, en avant de l’Evolution. » (Teilhard, 1956,
p.172).
Moralité Cosmique
Les entités quantiques à la base de la vie ne peuvent faire
autrement que d’explorer leur espace d’état par des sauts quantiques
incessants. Comme l’ego de Fichte, leur nature est celle d’une activité
incessante. En effet, sans cesse des états occupés sont abandonnés pour devenir
virtuels, alors que des états virtuels deviennent actuels. Il s’ensuit que
l’évolution dans cet univers ne peut jamais s’arrêter et que nous faisons
partie d’un processus cosmique continu. Nous sommes une espèce condamnée - non
parce que nous avons enfin réussi à détruire notre environnement, mais parce
que, dans l’histoire de la vie, toutes les espèces ne sont sous les feux de la
rampe que durant un court instant pour ensuite céder leurs places à des formes
de vie émergentes. Face à cette situation, il faut se poser la question de
savoir si les espèces qui nous succèderont adhéreront aux mêmes idéaux humains
que les nôtres.
Il semble raisonnable d’imaginer que seules ces valeurs
humaines survivront dans l’évolution future de la vie qui sont en accord avec
les principes de l’Esprit Cosmique - principes d’une moralité cosmique. La vie
vertueuse est donc une vie qui est en harmonie avec l’ordre de l’univers.
Si la nature du réel est semblable à celle d’un esprit, on
peut présumer que l’univers, en plus de l’ordre physique, possède aussi un
ordre spirituel ; et c’est dans les esprits humains que cet ordre s’élève au
niveau de la moralité.
En 300 av. J.-C., Zénon de Citium loua le stoa poikile à
Athènes et fonda l’école des stoïciens. Il élabora un système d’éthique dont la
valeur fondamentale était de « vivre en accord avec la Nature » (Hauskeller,
1977, p.203 ; le sommaire ci-après évoque la même référence).
Selon une tradition grecque de la moralité, la vertu
consiste à développer au plus haut degré possible la propriété d’une chose par
laquelle cette chose se définit, aspirant à « l’état de la meilleure valeur »
(Hauskeller, 1997, p.21) du caractère essentiel d’une chose. Dans ce sens, par
exemple, la vertu d’un couteau est d’être coupant ; celle d’un athlète, d’être
fort. La propriété définissant les êtres humains est la raison. Donc, Zénon
croyait que la vertu d’un être humain consistait à développer sa raison au plus
haut degré possible. Un tel devoir présuppose une vie en harmonie avec les
principes de la raison.
Bien qu’elle représente le caractère humain principal, Zénon
croyait que la raison n’était pas un accomplissement humain mais plutôt un don,
à titre de prêt par l’univers, un « principe mondial qui s’élève au sein des
êtres humains jusqu’au niveau du réel » (Hauskeller, 1997, p.207). Le don
apporte avec lui une obligation qui doit être respectée : c’est-à-dire qu’il
est le devoir de chaque être humain de développer au plus haut degré possible
sa propre raison.
De ces considérations résulte la chaîne d’arguments suivants
: 1. La vie vertueuse est en harmonie avec la raison. 2. La raison humaine fait
partie d’une Raison Cosmique qui est du même acabit qu’une Volonté ou une
Conscience Divine. 3. Il s’ensuit qu’une vie en harmonie avec la raison est «
une vie en harmonie avec la Nature » (Hauskeller, 1997, p.203). Le premier
devoir selon Zénon est de vivre en accord avec la nature de l’univers.
« Nos natures font partie de la totalité du monde. Pour
cette raison, le but ultime est de vivre en accord avec la Nature, qui est à la
fois notre propre nature et celle de l’univers. Dans une telle vie, on
n’entreprend rien de ce qui n’est pas permis par la Raison du Monde (en effet,
la loi générale). La Raison du Monde est la raison véritable (orthos logos) qui
imprègne tout, et qui est, dans son essence, une avec Zeus, qui fournit l’ordre
à l’univers et qui est son guide » (Hauskeller, 1997, p.204).
Dans ce contexte la non-séparabilité de la réalité est un
aspect important. En tant qu’êtres humains et en tant que sociétés nationales,
nous sommes séparés les uns des autres. Cependant, nous faisons partie, dans
nos racines, d’une réalité non séparable et, tous, nous participons au même
processus cosmique. De cette façon, les phénomènes quantiques nous montrent ce
qui manque dans notre manière égoïste contemporaine de vivre, sans nous forcer
à vivre en accord avec leurs messages. Il faudra un effort soutenu pour nous
faire accepter le fait qu’aucune nation ne peut offrir une vie digne d’être
vécue par l’asservissement des autres, et que seuls ces systèmes, qui
respectent l’ordre non séparable de la réalité, sont authentiques dans un sens
cosmique - c’est à dire viables.
Il est intéressant que de telles vues soient en contraste
radical avec les théories courantes des sociobiologistes et éthologistes qui
maintiennent que tous les schémas fondamentaux du comportement animal sont des
adaptations. Cela veut dire que nos valeurs, y compris nos valeurs morales, ne
sont que des stratégies dans un jeu égoïste qui vise à duper les gènes de
quelqu’un d’autre. Dans « The Evolution of Ethics » Ruse et Wilson écrivent
(Ruse et Wilson 1993, p.310). « La moralité, ou plus exactement notre foi en la
moralité, n’est qu’une adaptation mise en place pour favoriser nos besoins de
reproduction.
Par conséquent, la base de l’éthique ne se trouve pas dans
la volonté de Dieu - ni dans les racines métaphysiques de l’évolution, ou d’une
autre partie quelconque de la structure de l’univers. L’éthique, telle que nous
la comprenons actuellement, est, en grande partie, une illusion, imposée à
notre insu par nos gènes pour s’assurer de notre coopération. Elle est sans
fondement externe... La manière dont notre biologie impose ses fins consiste à
nous faire croire qu’il existe un code objectif, plus élevé, auquel nous sommes
tous assujettis ». Parallèlement, Ruse (2001) dit : « Je commence, avec grand
enthousiasme, à partir de la théorie de l’évolution par sélection naturelle de
Charles Darwin. Cela me mène à la conclusion que notre moralité a été mise en
place par notre biologie, pour faire de nous de bons animaux sociaux ... Je
n’accepte pas des principes moraux objectifs... La moralité est une illusion collective
de l’humanité mise en place par nos gènes, pour faire de nous de bons
coopérateurs. »
Beaucoup de scientifiques désapprouvent le transcendant.
Dans « La Répression Cognitive dans la Physique Moderne », Fox Keller écrit : «
La vision d’une union transcendante avec la nature satisfait le besoin primitif
d’être connecté, que l’on ne trouve pas dans d’autres domaines. En tant que
telle, elle va à l’encontre de l’acceptation d’une relation plus réaliste, plus
mûre et plus humble avec le monde, relation dans laquelle on accepte que les
frontières entre sujet et objet soient tout à fait rigides, et dans laquelle
les connaissances, quelles qu’elles soient, ne sont jamais totales » (Fox
Keller, 1979).
Dans le même esprit, Miller propose dans son livre « The
Mating Mind » que le sentiment d’être inspiré par un monde transcendant est un
« symptôme classique de schizophrénie paranoïde » (Miller, 2000).
En opposition à ces sombres avertissements, il semble
raisonnable de proposer que les principes universels qui apparaissent dans
notre pensée soient des reflets d’un ordre universel. Si tous nos comportements
sont des adaptations, on peut croire que l’adaptation relative au comportement
moral est la capacité de notre esprit à saisir la signification des principes
universels. Comme nous avons développé la capacité de comprendre les principes
universels de la physique, nous avons développé la capacité de comprendre les
principes universels de la moralité.
Les états quantiques virtuels représentent un ordre qui est
à la fois immanent (les états quantiques sont dans les choses) et transcendant.
Étant donné qu’ils ne sont pas réels, ils sont au-delà de ce monde, cependant
qu’ils possèdent le pouvoir d’apparaître dans ce monde. Dans son livre « Dieu
existe-t-il ? » Küng écrit : « Dieu est dans le Monde. Il y a la transcendance
dans l’immanence, et il y a l’existence au-delà de ce monde dans l’existence
dans ce monde » (Küng, 1978p.193). On arrive ainsi à se demander pourquoi on ne
peut penser ensemble la réalité immanente-et-transcendante et
au-delà-de-ce-monde-et-dans-le-monde, qui est Dieu, avec la réalité
immanente-et-transcendante et au-delà-de-ce-monde-et-dans-le-monde qui est la
réalité quantique ?
Les sciences n’abandonneront jamais le droit d’expliquer le
monde d’une manière naturelle. Cependant, il est possible qu’aux frontières de
la réalité, le mot ‘naturel’ signifie quelque chose de totalement différent de
ce qu’il signifie au niveau de la conscience humaine. Il pourrait même devenir
synonyme du Divin. La vie des barbares, nomades étrangers dans le royaume des
valeurs, ne peut plus être excusée par des prétentions matérialistes et
mécanistes concernant la nature du réel.
Monod (1970) croyait que nous avions des besoins spirituels
parce que nous étions des descendants d’animistes. Au contraire, on peut penser
que nous avons des besoins spirituels parce que notre esprit a besoin d’être en
contact avec ce qui est apparenté à sa nature - la Conscience qui est active
dans l’univers. Notre musique est la musique de l’univers. Mozart est « une
touche de transcendance » comme Küng l’écrit (1991). La maladie de l’esprit est
la maladie de ceux qui ont rompu leurs liens avec l’Esprit cosmique et qui ne
sont plus en harmonie avec ses principes.
Comme dans une prière sans fin, la Conscience cosmique a été
une obsession permanente de l’esprit humain. Depuis les fondateurs des
traditions spirituelles orientales jusqu’aux philosophes grecs, en passant par
les néoplatoniciens, Saint Augustin, le Moyen-Âge et maintenant, la réalité
quantique, l’Esprit s’est constamment pensé en nous et a systématiquement
trouvé les moyens de jaillir sur scène.