2013/06/11

Harmonie Secrète




Les pigeons après avoir tournoyé une dernière fois en groupes serrés ont mis leurs becs sous leurs ailes; les gaies mélodies des buissons ont cessé; à peine un merle passe t-il encore à tire d'ailes au ras des haies. C'est le soir. Les fleurs ont refermé leurs corolles multicolores, certaines même depuis le milieu de l'après-midi; la nature s'endort en un doux murmure pour accueillir la fraicheur du crépuscule et les ombres voilées de la nuit. La nature, cette fée infatigable et prodigue s'endormirait-elle ainsi si elle ne devait se réveiller, plus fraîche et plus abondante que la veille, plus sereine que l'enfant qui vient de naitre ?

La vie commence le soir, dans l'espoir du lendemain. La lumière n'existe que parce qu'elle remplace les ténèbres. Si la nuit n'existait pas, le jour ne pourrait naitre, chaque matin. Quand le nouveau-né sort de l’obscurité, il pousse un premier cri, ni triste ni joyeux, un cri de surprise, le cri de l'univers quand la lumière fut, un cri métaphysique. Quand ses petits yeux s'ouvrent à la lumière et que le Maitre du monde lui dit "vois !", il répond: 'je vois !' Puis, certain de se réveiller à nouveau, il s'endort, en paix, à la chaleur de son unique soleil, le sein de sa mère.

Vient l'automne, la nature s'assoupit, la sève se concentre, les molécules dispersées par les ardentes chaleurs de l'été se regroupent et se consultent, la création passe en dedans après avoir ébloui le dehors de ses formes multiples et de ses couleurs infinies; les branches de tous les arbres se confondent alors en nuances de gris chez les plus grands, de brun rougeâtre dans les taillis et, pour peu qu'un manteau blanc recouvre le tout un beau matin, qui oserait rêver au printemps ? Ce qui resplendit au grand jour est le résultat d'un travail secret, ce qui éclot à la clarté du matin a été préparé dans l'ombre.

Le mystère de la vie est moins sur scène que dans les coulisses. Ce qui devient visible, malgré l'immensité de la création n'est rien en regard de ce qui reste caché. La véritable puissance de la nature n'est ni dans la foudre, ni dans l'ouragan, mais dans la brise légère qui remue à peine le coquelicot sur sa tige velue. La toute-puissance de la vie est dans ce calme paisible, dans ce silence studieux qui parfois se laisse envahir par des émotions aussi fortes que passagères, des emportements formidables mais futiles si on les compare au travail de l'ombre, au labeur invisible et permanent de cette force tranquille qui est l'essence du monde.