Les pigeons après avoir tournoyé une dernière fois en groupes serrés ont
mis leurs becs sous leurs ailes; les gaies mélodies des buissons ont cessé; à
peine un merle passe t-il encore à tire d'ailes au ras des haies. C'est le
soir. Les fleurs ont refermé leurs corolles multicolores, certaines même depuis
le milieu de l'après-midi; la nature s'endort en un doux murmure pour
accueillir la fraicheur du crépuscule et les ombres voilées de la nuit. La
nature, cette fée infatigable et prodigue s'endormirait-elle ainsi si elle ne
devait se réveiller, plus fraîche et plus abondante que la veille, plus sereine
que l'enfant qui vient de naitre ?
La vie commence le soir, dans l'espoir du lendemain. La lumière n'existe
que parce qu'elle remplace les ténèbres. Si la nuit n'existait pas, le jour ne
pourrait naitre, chaque matin. Quand le nouveau-né sort de l’obscurité, il
pousse un premier cri, ni triste ni joyeux, un cri de surprise, le cri de
l'univers quand la lumière fut, un cri métaphysique. Quand ses petits yeux
s'ouvrent à la lumière et que le Maitre du monde lui dit "vois !", il
répond: 'je vois !' Puis, certain de se réveiller à nouveau, il s'endort, en
paix, à la chaleur de son unique soleil, le sein de sa mère.
Vient l'automne, la nature s'assoupit, la sève se concentre, les
molécules dispersées par les ardentes chaleurs de l'été se regroupent et se
consultent, la création passe en dedans après avoir ébloui le dehors de ses
formes multiples et de ses couleurs infinies; les branches de tous les arbres
se confondent alors en nuances de gris chez les plus grands, de brun rougeâtre
dans les taillis et, pour peu qu'un manteau blanc recouvre le tout un beau matin,
qui oserait rêver au printemps ? Ce qui resplendit au grand jour est le
résultat d'un travail secret, ce qui éclot à la clarté du matin a été préparé
dans l'ombre.
Le mystère de la vie est moins sur scène que dans les coulisses. Ce qui
devient visible, malgré l'immensité de la création n'est rien en regard de ce
qui reste caché. La véritable puissance de la nature n'est ni dans la foudre,
ni dans l'ouragan, mais dans la brise légère qui remue à peine le coquelicot
sur sa tige velue. La toute-puissance de la vie est dans ce calme paisible,
dans ce silence studieux qui parfois se laisse envahir par des émotions aussi
fortes que passagères, des emportements formidables mais futiles si on les
compare au travail de l'ombre, au labeur invisible et permanent de cette force
tranquille qui est l'essence du monde.
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