Il y a peu de lignes droites dans la nature mais, en s'élançant de courbes en courbes, il n'y a que peu d'échecs. La nature arrive toujours à son but.
L'homme, cette espèce dominante depuis plusieurs milliers d'années sur terre ne voit que des lignes droites. La courbe est une perte de temps, d'énergie. L'homme voit sa réalité en système binaire, zéro ou un.
L'espèce dominante représente le paradoxe d'être l'espèce la plus dominée sur terre, par ses semblables, et par les lois qu'elle s'est donnée afin d'éviter les courbes.
Cependant, pendant que l'homme civilisé s'élève en ligne droite, selon lui, la nature humaine n'a pas pour autant cesser d'évoluer, en courbes. L'anthropocène est une illusion.
Il doit donc arriver un moment où la ligne droite du progrès se croisera à la ligne courbe de l'évolution naturelle. Mais, si l'homme ne pense qu'à lui, à ce qu'il croit représenter par son évolution, son passé, la nature elle n'a que faire de continuer un même type et de le développer à l'infini. La courbe de l'évolution humaine doit donc, à l' insu du sujet lui-même, métamorphoser les hommes en une future nouvelle espèce qui ne pourra que se confronter avec celle de l'homme civilisé devenu un concept stérile.
Le véritable challenge humain n'est pas d'assurer la sécurité de l'espèce, au prix de la perte de sa liberté, mais d'envisager et de développer ce qui en l'homme est encore inconnu, ce qui est deviné, ce qui n'existe pas dans les conditions linéaires d'une existence fondée sur l'acquis, sur la tradition, sur le passé.
Dans cette perspective, deux conditions sont nécessaires et inévitables. La première est de ne jamais s'éloigner de la nature, nature humaine et nature environnante et la deuxième est de bannir des comportements tout ce qui tend à réduire l'homme à un être explicable, compréhensible, un être que l'on peut classer en catégories, que l'on peut former et déformer selon les besoins, que l'on peut soumettre à des expériences forcément réductrices et avilissantes, que l'on peut regrouper sous des bannières factices.
En d'autres termes, ce qui assurera l'avenir de l'espèce humaine est ce qui la rendra la plus diverse, la plus libre de ses choix individuels, la plus respectueuse de ses différences, pourvu que ce soient des différences naturelles et non sociales. Faute de quoi, l'homme se rapetisse, s'uniformise et dégénère lamentablement et exponentiellement comme c'est le cas à notre époque plus qu'à toute autre.
Le plus grand obstacle à l'épanouissement d'une société, non pas multi-culturelle mais multi-individuelle, en incluant dans la notion d'individu celui de famille au sens restreint, est la 'volonté de vouloir', les désirs de puissance et de gloire qui ne sont réalisés qu'au sein d'un groupe, d'une civilisation bornée à des valeurs tant unificatrices que réductrices. L'homme doit s'émanciper de la vision sociale, du culte du semblable permettant de prendre l'unification comme un milieu propice à l'élévation personnelle.
British "Empire"
Le principe de la non-évolution de l'homme, ou même de sa régression vient du fait que ce n'est pas l'homme qui crée la société humaine à son image naturelle et divine mais que c'est la société qui fait des hommes selon ses principes.
Afin de faire cesser ce désastre sisyphéen, il faudrait que les hommes élèvent leurs enfants à devenir des êtres humains au lieu d'en faire de futurs composants sociaux. Or, c'est généralement le cas tant que l'enfant reste reste conscrit dans sa famille. De fait, la plupart des bébés reçoivent de leurs parents, et principalement de leur mères, doit-on souligner, des enseignements conformes à la nature humaine. Sauf exception, jusqu'à trois ans, chaque petit d'homme est élevé en futur homme.
La suite change beaucoup selon les milieux mais c'est majoritairement à l'adolescence que le petit individu devient un petit rouage social. Il faudrait distinguer selon les différentes cultures pour analyser ce phénomène avec toute la profondeur et l'exactitude requise mais, connaissant la "civilisation" occidentale, je vais essayer de préciser dans ce cadre.
La première constatation à faire est que les familles n'ont que peu de moyens pour assurer l'éducation de leur enfants au-delà de trois ans. Le temps à consacrer à un enfant est celui d'une vie entière pour un adulte, la mère en l’occurrence, et bien peu de jeunes mamans de nos jours peuvent se permettre financièrement de ne se consacrer qu'à cette tâche. D'autre part, les parents ont petit à petit perdu l'expérience nécessaire à l'éducation d'un jeune enfant et enfin, les conditions de vie urbaines font que l'environnement est en général inadapté faute d'espace, et ce même à la "campagne" dans bien des cas.
Ensuite, l'influence des comportements sociaux, des déviations devrait-on dire, se fait sentir même dans le cas d'une éducation parentale complète, et ce de plus en plus fortement au fur à mesure que l'enfant prend contact avec le monde extérieur, par goût autant que par obligation. A partir de 3 ans, la crèche commence le rôle égalisateur de la société pour beaucoup et, à 6 ans, l'école obligatoire commence son laminage à deux faces. La vie de l'enfant passe de l'environnement familial à celui du groupe, avec ses comportements stéréotypés sous la totale influence du modèle social prévalent, et concurremment, l'enfant commence à être soumis à l'endoctrinement des préceptes dominants de la société.
La deuxième étape, sera la dernière car toute la vie qui suivra dépendra de cette "formation" originelle en deux phases, l'enfance et l'adolescence. Adolescent, le jeune homme commence à chercher quelle sera la place à laquelle il pourra atteindre dans la société qu'il comprend dans ses grandes lignes. De lui-même maintenant, il va se "former" afin de réaliser à moyen terme tel ou tel rêve individuel et social selon les paramètres qui lui ont été inculqués enfant. La petite enfance ne représente plus rien à partir de là sauf pour un ensemble de comportements qui avaient été mis en place par sa famille d'origine. L'adolescent est déjà potentiellement un maillon de la chaîne sociale des pieds à la tête, il ne lui manque que la signature au contrat.
Là, j'écris à bord du Ferry Grèce-Italie et je n'ai remis les pieds dans le "monde" qu' aujourd'hui depuis trois mois. Quelle tristesse, quelle petitesse, quelle mesquinerie. Les hommes parlent fort, les femmes se comparent, personne ne se parle si ce n'est pour médire, pour mépriser, pour se moquer, pour renchérir avec force sur les lieux communs ambiants les plus vulgaires, que ce soient les chauffeurs de poids-lourds Albanais où les riches Italiens en SUV. Regards hautains, course à la "meilleure" place, meilleure parce que 'tout le monde' la veut, la place en vue, la place Number One, records d'orgueil, de domination, de servilité, d'obséquiosité, de comportements autistiques sans même que tous ces "hommes" puissent être excusés de présenter des troubles de l'entendement avérés ... Tous autistes sans le savoir, en réalité !!
Une des principale raison de ce délabrement est que, tous autant qu'ils sont, ils têtent la même mamelle, vivent entassés et boivent le même poison social. Mêmes informations pour continuer une même 'formation', sur laquelle je vais revenir pour terminer l'adolescence, même divertissements, même nourriture, mêmes logements, mêmes désirs, mêmes espoirs ... des boulons dans une machinerie à l'échelle planétaire, avec des variantes locales.
Or, si l'homme est conditionné par la société, il n'en est pas moins avide de se voir tel. En effet, l'homme a besoin de se savoir quelque chose et, faute de pouvoir se considérer pour ce qu'il devrait être, un homme 'supérieur' par nature, force lui est de se réfugier à être un homme social, quelle que soit l'infériorité en résultant, pourvu qu'il croit voir dans le miroir une supériorité relative. S'il est un masque dont il revêt sa physionomie avec une égale vanité et vivacité, c'est celui de la nullité arrogante et agressive.
Balzac, L'employé, pp 202-204
"À l’aspect de ces étranges physionomies, il est difficile de décider si ces mammifères à plumes se crétinisent à ce métier, ou s’ils ne font pas ce
métier parce qu’ils sont un peu crétins de naissance. Peut-être la part est-elle égale entre la Nature et le Gouvernement. « Les villageois, a dit un inconnu, subissent, sans s’en rendre compte, l’action des circonstances atmosphériques et des faits extérieurs. Identifiés en quelque sorte avec la nature au milieu de laquelle ils vivent, ils se pénètrent insensiblement des idées et des
sentiments qu’elle éveille et les reproduisent dans leurs actions et sur leur physionomie, selon leur organisation et leur caractère individuel. Moulés ainsi et façonnés de longue main sur les objets qui les entourent sans cesse, ils sont le livre le plus intéressant et le plus vrai pour quiconque se sent attiré vers cette partie de la physiologie, si peu connue et si féconde, qui explique les rapports de l’être moral avec les agents extérieurs de la Nature.
Or, la Nature, pour l’employé, c’est les Bureaux. (...) plusieurs médecins distingués redoutent l’influence de cette nature, à la fois sauvage et civilisée, sur l’être moral contenu dans ces affreux compartiments, nommés Bureaux, où le soleil pénètre peu, où la pensée est bornée en des occupations semblables à celle des chevaux qui tournent un manège, qui bâillent horriblement et meurent promptement (...)
Aussi faut-il avoir hanté les Bureaux pour reconnaître à quel point la vie rapetissée y ressemble à celle des collèges ; mais partout où les hommes vivent
collectivement, cette similitude est frappante : au Régiment, dans les Tribunaux, vous retrouvez le collège plus ou moins agrandi. Tous ces employés, réunis pendant leurs séances de huit heures dans les bureaux, y voyaient une espèce
de classe où il y avait des devoirs à faire, où les chefs remplaçaient les préfets d’études, où les gratifications étaient comme des prix de bonne conduite donnés à des protégés, où l’on se moquait les uns des autres, où l’on se haïssait et où il existait néanmoins une sorte de camaraderie, mais déjà plus froide que celle du régiment, qui elle-même est moins forte que celle des collèges. À mesure que l’homme s’avance dans la vie, l’égoïsme se développe et relâche les liens secondaires en affection.
Enfin, les Bureaux, n’est-ce pas le monde en petit, avec ses bizarreries, ses amitiés, ses haines, son envie et sa cupidité, son mouvement de marche quand même ! ses frivoles discours qui font tant de
plaies, et son espionnage incessant."
Cet intermède balzacien nous permet de reprendre le sujet à l'adolescence. Après avoir été conditionné pendant l'enfance à accepter une vie de groupe et à en tirer tant bien que mal la plus grande source de son existence, tant en rétribution morale qu'intellectuelle ou affective, l'enfant devenu 'sociable' apprend désormais à tirer parti de son existence communautariste.
Il est de fait que l'homme n'est pas fait pour vivre seul, mais, s'il doit avoir commerce avec ses semblables, ce n'est pas pour que ce commerce supplante sa vie individuelle et familiale.
Les grands rassemblements d'hommes ne devraient pas être la norme. Le prétexte que, sans cet état collectif, la civilisation n'avancerait pas est un leurre. Les plus grands progrès de l'humanité ne sont pas pour la plupart du à ces rassemblements mais bien à des découvertes individuelles et, si l'on prend comme justification la puissance de création de ces rassemblements, une cathédrale du Moyen Age par exemple, il faut bien constater que ces réalisations n'ont en rien amélioré la civilisation ambiante.
Si l'on prend comme autre exemple le développement d'une grande ville, que ce soit Babylone ou New York, de la même façon ces monstres de civilisation n'ont apporté que peu de grands progrès tant dans l'étendue que dans la durée. Si peu après la naissance de ces cités on a vu s'y développer des réalisations grandioses, leur extension et leur continuation n'ont entraîné que des crimes, des corruptions, des déboires collectifs et individuels à l'encontre de leur prétention au développement et à l'amélioration de la condition humaine dont elle étaient le prétexte.
La mise en commun d'un grand nombre d'existence n'engendre en réalité que de la soumission, de la haine, du désespoir, toutes choses négatives et propices uniquement à la mise en pratique d'une société tyrannisée. Le seul profit d'un état collectif de l'humanité est celui qu'en font les tyrans qui profitent de la dégradation des hommes pour les dominer, les diriger et les maintenir dans cette condition avec la facilité d'un maître d'école ou d'un sergent, sauf que ces hommes ne sont plus ni des enfants ni des soldats.
Si on peut éventuellement considérer que la réunion des hommes en troupeaux part d'une bonne intention, ce qui n'est généralement même pas le cas, leur maintien dans cet état transforme inéluctablement l'idée 'généreuse' en système asservissant. La médiocrité voulue et imposée devient alors la norme qui remplace celle de la réalisation de grandes choses en formant de grands hommes.
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