"C'est pas l'homme qui prend la mer,
c'est la mer qui prend l'homme ..."
Renaud
L'homme se dit:
"Je suis né à tel endroit, dans tel ville, village, de telle famille, dans telle tribu, près de tel café mais loin de tel autre, donc je suis un élément de ce tout et je possède en moi les caractéristiques de cette société."
L'homme a besoin de se sentir le maillon d'une chaîne qui lui donne son identité car il a soif avant tout de se regarder dans la glace en se disant:
"Je suis celui-ci qui est ceci et non cet autre qui est cela".
A l'inverse de l'aigle, dont il orne avec délices sa mythologie, il ressemble bien au mouton qui n'existe que parce qu'il fait partie d'un troupeau qui, au sortir de sa bergerie, à l'aube alors que les étoiles sont à peine estompées par le jour naissant, court sous ce grand arbre qui lui donnera son ombre quand l'astre du jour sera au zénith.
La question métaphysique que l'on délègue volontiers aux ermites ou aux académiciens reste en vérité au centre de chaque individu car elle est le fondement de toute vie humaine. Cependant, une fois résolue, et ce de la manière la plus aisée et la moins coûteuse possible, elle est reléguée entre la semelle et la plante du pied car, s'il faut bien s'appuyer sur quelque chose, c'est pour mieux l'oublier dans la pratique.
Il ne fait aucun doute que le sentiment d'appartenance à un groupe est un besoin vital qui, comme la choucroute, doit être suffisamment relevé sans pour autant offenser la digestion. Si les hommes n'étaient pas confinés sur terre de par leur nature et la force de gravité, on pourrait imaginer des planètes composées de masses humaines se promenant dans l'espace, agglutinées selon leurs croyances, se croisant en s'apostrophant de loin en loin et rejetant parfois les éléments incompris ou dérangeants leurs unités qui deviendraient des météorites naviguant à l'écart des planètes humaines dans le vide interplanétaire.
Une fois que l'homme s'est donné son la, il se sent libre d'agir comme lui semble bon tout en défendant à l'occasion de toutes ses forces l'apparence qu'il croit posséder parce qu'il se l'est attribué tout seul comme un grand, apparence sociale et non physique s'entend. Alors, tout ce qui ne lui est pas semblable est étranger et tout ce qui lui est étranger est méprisable.
(Pépètes au soleil )
Mais cette appartenance à sa propre planète humaine n'empêche pas l'homme d'épouser ou de rejeter ce qui lui plait ou le dérange dans son propre individu, pourtant façonné selon les prémisses généraux de son appartenance à une tribu humaine déterminée, en sorte que chaque homme, se croyant un aigle, préside à sa destinée en incorporant ou en arrachant des morceaux de lui-même qu'il considère utile ou inutile selon les circonstances.
Le résultat de ce processus d'identification général et de rejet ou d'appropriation circonstanciés est un monde divisé à l'infini où l'individualité ressort à l'opposé de ce qu'elle devrait être. En effet, au lieu que chaque homme devienne le développement harmonieux de ses caractéristiques uniques et fondamentales, et devienne par le développement de ses qualités propres le complément de son prochain, l'individualité n'est par la force de l'absurde qu'un pot pourri des mêmes recettes se confrontant sans cesse et s'opposant pour des qualités absurdes et imaginaires puisées dans le grand fourre-tout des croyances mythiques de sociétés primitives quoiqu'elle se disent évoluées.
On assiste donc sans se poser la moindre question,
et ce depuis que l'homme existe, à quelques exceptions près
à ce fait que
c'est la société qui fait l'homme
alors que c'est l'inverse qui devrait être vrai.
De ce fait donc, les individus sont en quelque sorte moulés d'avance alors qu'ils devraient au contraire engendrer une société qui reflète leur image. Ainsi obtenons nous des individus qui n'en ont que l'apparence et qui ne sont que des clones du modèle social prévalent, et, de là, des sociétés qui se perpétuent à l'identique dans leurs fondements quoique la forme diffère selon les lieux et les époques.
Antoine de Saint Exupéry, "Le petit prince"
(NB ... re-lire le premier post de ce blog, 6 ans déja !!)
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"– Ah ! Maximilien, dis-je en lui serrant la
main avec force,
que vous êtes bon ! »
– 185 –
Ces paroles parurent faire sur lui une vive
impression. Il
fronça les sourcils, se démena dans son
fauteuil et murmura d’un ton boudeur :
« Non, je ne suis pas bon… je suis juste,
voilà tout !… La société des hommes, au milieu de laquelle je suis contraint de
vivre, a causé à ce malheureux un immense dommage… Je me considère comme
responsable, dans une certaine mesure, de cette faute collective… et je tâche
de la réparer selon mes moyens. Mon action est bien simple, en vérité, et je
m’étonne qu’elle provoque chez vous un tel élan d’admiration !…
D’ailleurs je possède plus d’argent, beaucoup
plus qu’il ne m’en faut pour vivre. Je n’ai aucun mérite, ce me semble, à me
défaire d’un objet qui m’est absolument inutile !… »
En entendant cette déclaration faite d’un ton
brusque, je ne pus m’empêcher de sourire. Vous savez que les médecins,
observateurs par profession, finissent par acquérir une sûreté de coup d’oeil
qui leur permet de sonder les maux de l’âme aussi profondément que ceux du
corps.
Il me semblait qu’à ce moment Maximilien
manquait un peu de cette franche sincérité, qui fut de tout temps le signe
distinctif et, en même temps, l’honneur des Alcestes. Évidemment il forçait sa
nature et tenait un langage que son coeur devait démentir.
Ce n’était pas ainsi qu’il parlait un mois
auparavant. Alors sa parole était amère, froide, incisive. On sentait que son
âme était ulcérée dans ses plus profonds replis, qu’il méprisait l’humanité
pour ses vices, ses erreurs, et enveloppait tous ses semblables dans la « haine
vigoureuse » qui grondait au fond de son coeur.
Maintenant, son ton était forcé, déclamatoire.
En l’entendant, je me rappelais involontairement
un mauvais acteur de province, qui, jouant Le Misanthrope, enflait ses joues et bourrait de coups de
poing et
de coups de pied les meubles de la scène. En
vain, Maximilien Heller, obéissant à ce petit sentiment d’amour-propre dont les
natures les mieux trempées subissent elles-mêmes le joug étroit, essayait-il de
me dissimuler la révolution intime qui s’était faite en lui ; en vain voulut-il
– 186 –
paraître avoir conservé, dans toute sa
rudesse, ce premier aspect sombre et sceptique sous lequel il m’était
précédemment apparu : son jeu ne put me tromper. Des
souffrances, des malheurs que je ne
connaissais point, peut-être quelque grande injustice dont il avait été la
victime, avaient jadis versé dans son âme le poison de la haine et du désespoir.
Mais, grâce à Dieu, ce poison venait de trouver son antidote !
Comment, en face de l’oeuvre glorieuse et
consolante qu’il
venait d’accomplir, pouvait-il douter de la
générosité de
l’homme ? Comment, en présence du succès dont
Dieu avait récompensé ses nobles efforts, aurait-il méconnu la puissance et la
bonté de la Providence ?
Il est une loi psychologique à laquelle tous
les hommes sont soumis, qui nous incline à juger l’univers d’après le monde
restreint où nous vivons, et nous porte à contempler nos semblables
à travers le prisme de nos propres vertus et
de nos propres défauts. Nous avons les regards constamment fixés sur ce miroir
secret renfermé dans notre âme, et c’est en considérant notre
image qui s’y reflète que nous prenons une
idée de l’image des autres.
Eh bien ! Il était évident pour moi qu’en se
voyant si grand, si noble, si beau dans le miroir de son coeur, Maximilien
était contraint de se réconcilier avec les hommes et avec Dieu.
En s’élevant à ses propres yeux, il avait
élevé, du même coup, l’humanité tout entière."
Henry Cauvain,
"Maximilien Heller"
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