2013/03/30

ALEXANDRE DUMAS


« Au fait, cher Maître, vous devez bien vous y connaître en nègres ?
- Mais très certainement. Mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre 
et mon arrière-grand-père était un singe. 
Vous voyez, Monsieur : ma famille commence où la vôtre finit. »

Alexandre Dumas a été accusé d'avoir de nombreux collaborateurs dans le but de déprécier son talent. Ce put être fâcheux pour certains qui auraient pu sans l'anonymat auquel ils étaient astreints se faire un grand nom, comme Auguste Maquet, ce le fut moins pour d'autres qui sans cette manne auraient été garçons de restaurant mais ce ne l'a pas été pour Dumas lui-même, et avec raison car, si beaucoup de romanciers furent de grands écrivains, Dumas n'était pas romancier, il était "Le Roman", comme Socrate était "Le Philosophe" ou Molière "Le Comédien".


Extraits du 'Roman d'une femme'

p86

Une fois donc ce principe admis que les hommes et les femmes ne trompent que par curiosité, principe irréfutable, puisque c'est à cet unique péché que l'Écriture a osé faire succomber Eve, il est facile de le combattre, et par les mêmes moyens pour la femme et pour l'homme.

p100

« ... Emmanuel est devenu misanthrope.
Point du tout, cher ami. On ne déteste les hommes que dans le commencement qu'on les connaît. Quand on les connaît tout à fait, on les oublie. Ils sont plus fous que méchants. Aussi je ne les hais pas ! Dans mes querelles avec eux, ce n'est jamais un homme, mais une idée que j'attaque. Ce n'est jamais au coeur mais à la tête que je m'en prends. D'ailleurs notre nature est si changeante, nos pensées sont si mobiles qu'il faudrait être Dieu lui-même pour avoir le droit de se plaindre des autres. 
Puis, voyez-vous, ce qu'il y a de vraiment grand et beau dans le monde, ce n'est pas cette gloire factice après laquelle on court, les uns par des sentiers, les autres par des chemins, ce n'est pas ce renom qui fait que, quand on passe, les autres hommes se détournent et vous regardent peut-être avec admiration, mais peut-être avec envie, ce n'est pas d'avoir à sa boutonnière un ruban rouge que des jalousies vous tiraillent de tous côtés espérant vous enlever un morceau du coeur en l'arrachant. 
Ce qu'il y a de vraiment grand dans le monde, c'est tout ce que Dieu a fait lui-même, c'est ce paysage animé et sans bruit qui se déroule devant nos yeux, ce sont ces fleurs, ces champs, ces oiseaux, qui sont tous une note du concert magnifique dont on n'entend rien quand on vit au milieu du chaos de la ville. Oh ! je vous le répète, monsieur le comte, gardez votre repos, voyez au milieu de quelle nature vous vivez. Eh bien ! en sondant cet horizon bleu, devinez-vous quelque chose de plus beau ? 
Que vous importe qu'il y ait derrière d'autres hommes qui se croient plus intelligents que ces pauvres paysans qui creusent la terre toute leur vie, et qui ne demandent à la terre que ce qu'elle peut donner ? Que vous importe le cri de la foule ? Vous en arrive-t-il quelque chose ? Et lorsque quelque grande ambition s'est réalisée là-bas, lorsque quelque grande lutte politique s'y fait, y a-t-il le soir un changement dans la nature et dans l'horizon ? Le ciel en est-il moins beau, les étoiles moins brillantes, l'air moins pur ? 
Non, non, tout est vanité là-bas, tout est bonheur ici et cependant, ce bonheur que je conseille, car je ne puis en jouir, je n'ai personne pour le partager et comme les phtisiques, je ne me soutiens plus que par la fièvre. Ainsi, chaque jour, au lieu de me lever et d'aller voir le réveil de Dieu, je demande mes journaux que je dévore, j'attends des lettres, je doute, je crains, j'espère, que sais-je, moi ? Et je mourrai probablement sans avoir rien ajouté à l'oeuvre des autres. »

p103

"... mystères de la grande scène politique. Il y a trois grands principes qui sont le pivot du monde : Dieu, les rois (- tyrans) et les peuples. En 93, le peuple, le peuple français que nous ne pouvons pas faire autrement que de prendre pour exemple, puisqu'il a toujours été le peuple d'initiative et d'action, le peuple français, dis-je, voulut nier deux de ces grands principes, et crut se suffire seul à lui-même. Il abolit la royauté et décapita le roi. Il abolit son Dieu et décapita les prêtres. Il y avait eu abus en haut, il y eut abus en bas. Maintenant qu'elle est passée, nous pouvons bien le dire un peu, cette révolution fut une grande chose et était une chose nécessaire. 
Dieu, principe infini et éternel, s'est reconstitué car la main des hommes ne pouvait l'atteindre, mais le trône s'est fortement ébranlé. A chaque mouvement que la royauté fait depuis 93, elle sent qu'elle est près de tomber. Le peuple menace éternellement, car le peuple n'est plus ignorant, et il commence à redemander compte à son roi et à ses ministres de sa misère et de son abandon. 
Ici commence la politique. Il s'agit pour les uns de faire prendre patience au peuple et de conseiller les rois, il s'agit pour les autres de faire passer la mer populaire sur le trône et d'établir à la place du principe monarchique le principe d'égalité que prêchent ceux qu'on appelle les socialistes. Qui a raison des deux, de celui qui veut que le peuple ait un maître qui le dirige, comme les enfants ont un père qui les conduit, ou de celui qui veut que le peuple soit son maître et se dirige lui-même ?

Les peuples sont comme les hommes. Il est bien rare de voir un homme arrivé à sa majorité user avec intelligence de l'héritage de sa famille et employer utilement la liberté que ses vingt et un ans lui donnent. Si tôt ou tard, ce qui est inévitable, le peuple recommence sa révolution, s'il se croit majeur enfin, il fera de grandes folies et sera forcé d'en revenir à un roi, c'est-à-dire à une unité, et plus ce roi sera absolu, plus le peuple sera heureux. Les révolutions, qu'on fait toujours au nom des idées, ne sont jamais que des questions d'estomac. Le peuple a faim, le peuple se bat. 
Faites que le peuple, l'ouvrier, ait toujours de quoi vivre, lui et sa famille, introduisez en même temps dans son esprit les connaissances qu'il doit avoir, et cette science du bien et du mal, que nous n'avons pas encore, quoi qu'en dise l'Évangile, et les traditions révolutionnaires se perdront. Le peuple ne demande pas un gouvernement plutôt qu'un autre, il demande la liberté de travailler, de penser et de vivre. Que le chef du gouvernement soit un Bourbon de la branche aînée ou un Bourbon de la branche cadette, peu lui importe, pourvu que ce chef soit loyal, et l'aime. 

Quant à la république, cette utopie que quelques fous exploitent encore en France, elle est impossible dans l'avenir comme elle l'a été dans le passé, Avant d'en arriver au bien-être qu'il cherche, nôtre pays essayera peut-être de ce gouvernement, comme un malade essaye les uns après les autres tous les remèdes connus; mais il le rejettera bien-vite, parce qu'il tombera entre les mains d'ambitieux ignorants qui l'écarteront de la grande route qu'il doit suivre. Il y a des gens qui ont des rentes et il y a des gens à leur porte qui meurent de faim. Qu'ont fait les uns pour être riches, qu'ont faits les autres pour être pauvres ? Toute la question est là. Tant que cette injustice sociale existera, nous serons sur un volcan, et malheureusement elle existera longtemps encore.

- Pourquoi ? demanda Marie. Il me semblerait bien simple que ceux qui ont donnassent à ceux qui n'ont pas. 

Cela vous semble bien simple à vous, mademoiselle, qui êtes bonne, que les riches partagent avec les pauvres mais il n'en est pas ainsi pour tout le monde. Puis il faut faire la part des passions. Dans le peuple il y a des hommes intelligents à qui leur intelligence ne donne que la haine et l'ambition. Ces hommes disent continuellement aux classes qui souffrent : Dieu est injuste et les hommes sont méchants. Tandis que les riches vivent dans le luxe, vous, vous vivez dans la misère; cela ne doit pas être et comme ils ne veulent pas vous donner ce qu'ils ont, il faut le leur prendre. Ces quatre lignes-là sont le cercle dans lequel se font toutes les révolutions. Malheureusement, si l'un veut prendre, l'autre tient à garder et qui souffre de tout cela ? C'est toujours le peuple qui ne s'est pas aperçu qu'il n'était que l'instrument de haines et d'ambitions et que, par ces moyens violents, il écarte de lui les sympathies et la confiance.

- Comment faire alors ?

Tout est là. Si on le savait, mademoiselle, on serait bien heureux. Comment faire pour maintenir au dehors l'honneur et la supériorité d'un pays, comment faire pour maintenir au dedans la confiance et la tranquillité ? Ceux qui ont fait le proverbe 'Être heureux comme un roi' ne savaient évidemment pas ce qu'ils disaient. La tâche est rude, et nous userons notre vie et nos veilles peut-être pour rien. 
Moi, j'aime le peuple comme j'aime l'océan, plus pour ses tempêtes que pour son calme, car il me semble que le marin est plus grand quand il lutte contre les vagues que lorsqu'il chante tranquillement dans la sérénité de la nuit. J'ai l'ambition d'arriver à calmer un jour toutes ces passions, à niveler toutes ces différences, à museler toutes ces haines. Ce serait une belle et grande chose sous le poids de laquelle je succomberai sans doute comme les autres mais que je tenterai avec toutes mes forces et toute ma volonté."

p 113

Voyez-vous, le bonheur n'est que là où on le met; quant au bonheur proprement dit, il n'existe pas.

p 129

Le coeur de la femme est un tel labyrinthe que souvent elles-mêmes en ignorent les détours; elles y suivent quelquefois une pensée qui y chemine, perdent tout à coup la trace de cette pensée et ne la retrouvent que longtemps après, forte du chemin parcouru. Or, il est bien heureux que la femme soit ainsi faite. De cette façon, elle sert aux fous et aux sages. Pour les premiers, elle est une passion, pour les autres, elle est une étude. Il est vrai que ceux qui la connaissent le mieux, souvent ce sont les fous mais comme cette connaissance acquise, ils deviennent sages, cela revient exactement au même.


p 212

L'homme de coeur veut toujours honorer la femme qu'il aime en lui donnant le spectacle de sa force et de son génie; il renouvelle son amour et le complique d'enthousiasme et d'admiration. Si quelque chose ou plutôt si un être au monde est vaniteux, c'est la femme. Elle a son ambition, qui l'élève quand elle est accomplie par son mari, qui l'égare quand elle est accomplie par elle-même; elle veut avoir, outre l'amour qui console son coeur, le nom qui flatte sa vanité; elle veut qu'à ce nom les autres se retournent, et rarement une femme consentira à tromper l'homme à qui elle devra ce nom.

p 217

"Emmanuel est toujours aussi bon pour moi et si quelque chose est changé, en lui, c'est qu'il m'aime davantage, voilà tout et cependant, j'ai une rivale que je me suis volontairement donnée et que je voudrais bien tuer maintenant, c'est la politique
Il y a dans le monde bien assez de malheurs et d'accidents inévitables sans qu'on aille encore inventer celui-là. Si l'on a un mari soldat, le jour où il revient de l'armée avec un bras ou une jambe de moins, c'est fort douloureux, j'en conviens mais au moins il ne peut plus y retourner et on l'a tout entier, sinon de corps, du moins de coeur. Mais ne me parle plus de ces luttes de paroles, dont le champ de bataille est une tribune. Les haines et les passions y sont sourdes comme les murmures inintelligibles qu'elles excitent. Le combattant est quelquefois lassée mais jamais assouvi et tous les jours il recommence avec la même force et la même volonté, car la même passion ronge son esprit. 
Dire qu'il y a sur la terre des coins du paradis oubliés par Dieu, l'Italie, l'Espagne, l'Orient, dire qu'il y a dans le coeur des plaisirs célestes donnés par les anges, l'amitié, la foi, l'amour et qu'au lieu d'aller visiter ces paradis qui éclairent la pensée, les hommes ont inventé des passions égoïstes, quand elles ne sont pas haineuses, des passions dont ils ont fait des gloires pour couvrir d'un beau nom une chose laide, comme on couvrirait un squelette d'une couronne d'or et d'un manteau de pourpre ! 
Les hommes sont bien fous ! Si jamais un d'eux fut chastement et saintement aimé, si jamais un amour s'associa à un autre amour, dévoué et éternel, c'est Emmanuel, c'est son amour. Je n'ai pas une pensée qui ne soit à lui, pas un rêve dont il ne soit, pas une ambition qu'il ne partage et au lieu de rester tout le jour avec moi, au lieu de nous enfuir, escortés du bonheur qui est en nous, dans les pays enchantés où l'on est si bien à deux, il va à la Chambre. 
La Chambre ! belle gloire ! belle compensation ! User dans une tribune la voix de sa bouche et de son coeur pour ajouter un titre à son nom, une vanité à son orgueil, quand il y a d'autres mots si doux à dire !!"


p 353

Quels résultats étranges et différents peut avoir un amour une fois que la femme s'est donnée ! Il y a quatre femmes dans ce livre. 
La première, madame d'Hermi, a fait de l'amour une distraction, qui n'a pas même altéré son teint, que le mondé a sue et qu'il a acceptée sans même en demander compte, quoiqu'elle eût un mari, un grand nom et une enfant. 
La seconde, Julia Lovely, a fait de l'amour une marchandise, un calcul, un commerce, et la société lui a donné en échange une célébrité, la fortune, l'influence même. Elle vit de son amour comme un ouvrier de son travail, seulement elle est plus heureuse que l'ouvrier. 
La troisième, Clémentine Dubois, ne ressent pour son mari qu'un amour amical, fraternel, sans exaltation, sans secousse, sans danger. Elle est sûre de son coeur, parce qu'il est sans passion. Des quatre, ce sera la plus heureuse, parce qu'elle aura cette paix de l'âme qui est la conscience, ce repos des sens qui est la vertu. 

La dernière, Marie, est de toutes ces femmes la seule qui ait ressenti un amour réel, amour qui la domine encore, amour qui l'a perdue par cela même qu'il était fort et qu'elle était jalouse de celui qui le lui inspirait. C'est par jalousie qu'elle a trompé son mari. Elle n'a commis qu'une faute et elle sera plus malheureuse que Julia, plus punie que la comtesse, parce qu'elle n'aura eu ni le calcul de l'une, ni le caractère insoucieux de l'autre. Elle ne se sera donnée qu'une fois à un autre homme que son mari, et cette faute unique brisera son existence, flétrira sa mémoire, détruira le bonheur de son père, l'avenir de l'homme qu'elle aimait et qu'après cette faute, elle aime encore plus que tout au monde. Elle sera punie parce qu'elle n'aura pas su mentir, parce que, jusque dans sa faute, son coeur sera resté innocent. Elle aura subi une inévitable fatalité et sa vie, qui n'aura qu'une tache, sera devenue un moyen de fortune pour une femme qui n'a pas dans tout son passé une bonne action à invoquer excepté celle qu'elle n'a fait que trop tard et qu'elle a bien effacée depuis.

D'où vient cela ? D'où vient qu'un être de vingt ans, sans expérience et sans force, puisse être, pour une erreur d'un jour, voué au mépris et au désespoir pendant toute sa vie par une société mille-fois plus corrompue que lui ? 

D'où vient que le mal soit lucratif pour les uns et l'erreur mortelle pour les autres ? Faut-il donc que l'hypocrisie soit le guide de la vie, et pourvu que l'on se cache, sera-t-on absous ? Le pardon ne pourra t-il être donné que par ceux qui ont reçu du ciel mission de pardonner, par les prêtres, et faudra-t-il éternellement qu'une société vicieuse se fasse juge des fautes commises, et prenne sur elle de les punir, comme pour s'excuser par la punition qu'elle inflige ? 
Ainsi, le pardon sera fermé à la pécheresse, à moins qu'elle n'aille le chercher dans le sein de Dieu, et celui ou ceux qui ont souffert de sa faute lui pardonnassent-ils, le monde, que cela ne regarde pas, ne pardonnera pas, lui, et montrera du doigt cette tache dont il fera une plaie. 
Oui, la société est mal faite, en ce qu'elle conseille le mal et ne le répare pas quand il est fait. C'est une entremetteuse qui vend ses filles, non pour en tirer de l'argent comme une entremetteuse ordinaire, mais pour donner une excuse à ce qu'elle a fait elle-même. 
La femme qui apprend qu'une femme a failli ne plaint jamais cette femme. Elle la repousse d'abord, elle s'en sert ensuite pour s'excuser si elle-commet la même faute. Vous trouverez des femmes réputées vertueuses qui le seront peut-être, qui continueront à recevoir une femme adultère, si cet adultère n'a amené aucun scandale public mais elles ne feront cela que pour faire un peu plus ressortir leur vertu, et pour avoir le droit de prendre la défense de quelqu'un. Sur mille, sur dix mille, vous n'en trouverez pas une qui dise avec franchise :

'- Je reçois cette femme parce que son mari lui a pardonné, parce qu'à sa place j'aurais peut-être fait ce qu'elle a fait, parce qu'il faut être sans péché pour jeter la pierre au pécheur et que je ne sais pas ce que l'avenir me garde.'

Comment ! vous pardonnez à un enfant qui tue son père, et vous dites: il ne savait pas ce qu'il faisait ! et vous ne pardonnez pas au coeur, cet éternel enfant, qui ne sait jamais ce qu'il fait ! 
Et l'on fait des révolutions pour substituer tel roi à tel autre, ce gouvernement-ci à ce gouvernement-là, et tandis que ce qu'on appelle la politique progresse, cette grande question de la société ne fait pas un pas, et patauge, toujours dans la fange, y traînant avec elle l'honneur des maris, le bonheur des femmes, le repos des familles, l'avenir des enfants

La nature, qui ne veut qu'une chose, la reproduction des êtres, s'arrange de toutes ces passions humaines qui l'aident à atteindre son but mais, le monde ne vit pas selon la nature, il vit selon ses caprices ses intérêts et ses préjugés, il maudit l'enfant pour la faute de la mère, il déshonore le mari avec la faute de la femme, il rejette sur une famille entière l'erreur d'un seul de ses membres et il lui en demande compte, et il ne lui rouvre pas ses portes sans lui faire comprendre qu'il pourrait les lui fermer.

Faut-il qu'il en soit toujours ainsi ? La société se contentera t-elle de dire: Voici le bien d'un côté, voici le mal de l'autre, choisissez si vous faites le bien, nous ne vous en saurons pas beaucoup degré; mais si vous faites le mal, nous vous conspuerons, à moins que vous ne vous cachiez, et ne respectiez les convenances, arrangez-vous une réputation, nous ne regarderons pas ce qu'il y a dessous ? 
Oh ! si les femmes savaient quel respect immense elles inspirent à certains hommes quand elles sont vertueuses, toutes les femmes auraient la vanité de l'être pour être estimées de cette minorité. Encore quelques mots pour une digression qui se présente naturellement ici, et qui prouve la dangereuse organisation de la société, qui fait le mal même en croyant le bien.

Il y a deux ou trois institutions pour l'éducation des filles telles que la maison de Saint-Denis, les Loges de Saint-Germain où le gouvernement fait élever à ses frais les filles des militaires morts à son service ou retraités. Ces jeunes filles reçoivent une éducation excellente, et sont élevées avec les enfants des meilleures familles de France. Une fois leur éducation terminée, la société croit avoir fait pour elles tout ce qu'elle devait faire. L'éducation n'est-elle pas la source de toute fortune ? Paradoxe accepté, et à côté duquel des savants sont morts de faim ! 
Qu'arrive-t-il quand ces jeunes filles, qui n'ont aucune fortune, sortent de ces maisons où elles sont restées jusqu'à dix-sept ou dix-huit ans ? Il arrive pour beaucoup qu'elles ont trop d'instruction, trop d'éducation, qu'elles ont trop côtoyé l'opulence et le bonheur des autres pour épouser un ouvrier honnête, mais dont l'éducation ne sera pas en rapport avec la leur, dont le travail ne pourra pas subvenir aux exigences de l'éducation reçue. 
D'un autre côté, elles n'ont pas assez de fortune pour épouser un homme dont le rang et la position soient en rapport avec cette malheureuse éducation qu'on leur a donnée croyant leur assurer l'avenir. 

Il en résulte que ces deux impossibilités, jointes aux passions, à la paresse, à l'orgueil, aux sens, à tout ce qui domine la femme, jettent peu à peu et nécessairement ces malheureuses filles dans cette classe de courtisanes qui augmente tous les jours, et dans laquelle on est tout étonné de rencontrer des intelligences et des instincts qui, aidés un peu plus longtemps par la société, eussent contribué à son bien, et qui meurent sans avoir rien produit que le mal. Il y aurait un livre bien curieux et bien intéressant à faire sur cette fatale nécessité du vice, qui devient le résultat d'une trop bonne éducation.



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