Non seulement les romanciers français (et anglais) du 19° siècle ont été au sommet de leur art mais ils ont de façon presque prophétique révélé les écueils auxquels l'humanité future devra sa perte ... ou son 'salut'. Nombre d'entre eux ont jaugé tant leur époque que les précédentes à leur plus juste valeur. Ils se sont élevés de la façon la plus vraie contre les mirages dorés du "progrès" naissant qui, à l'encontre de l'évolution naturelle, fonde sa marche forcée sur un nivellement par le bas des valeurs et des espoirs de la société humaine.
Dickens, Defoe, Scott ou Cooper pour les anglophones, Sue, Richebourg, Mary, Malot, Dumas et Soulié en France ont dénoncés avec la même intelligence l'empoisonnement des consciences par des mythes qui, bien que sans cesse renouvelés fondent leurs réussite sur les tentations éternelles de l'homme pour l'orgueil - mal placé, l'égoisme, le vice ... Les yeux grand ouverts sur les crimes du passé et de l'avenir, sur cette nature si faible et corruptible, si vite assoifée de sang ou de vin, ils ont révélé avec plus de logique et plus de finesse que les meilleurs philosophes, que les plus grands penseurs les causes et les conséquences de l'ignorance volontaire de l'homme sur ses funestes aspirations, sur la pente sans fin de décadence où la société 'moderne' s'engouffrait, mais cette fois industriellement.
Il y a deux sortes d'hommes sur terre: ceux qui, cherchant à voir et à savoir, ne se contentent pas des discours établis pour régler leurs pensée et leur vie, et ceux qui, tout en voyant le monde y marchent en aveugles volontaires parce qu'ils y trouvent un profit de par leurs zèle à se repaître de ses erreurs. Ces autruches hypocrites sont malheureusement le plus grand nombre parce que tous ont soit quelque chose à perdre, soit à gagner de l'indifférence génerale aux plus grandes comme aux plus petites perversions érigées en règles .
Frédéric Soulié est certainement un des plus perspicaces à dévoiler la misère morale et spirituelle de l'homme dans ses travers secrets comme dans ses illusions avouées. Aussi déclare t-il au début de 'Léon Baburrus':
"(...) une grande affluence de peuple encombrait les rues de la ville, se rendant aux diverses églises pour y entendre prêcher les deux évêques, chacun se dirigeant vers celle où l'appelait sa croyance et ses affections; tous dans cet esprit commun à l'homme de tous les siècles d'aller chercher des discours pour soutenir sa croyance plutôt que des raisons pour l'éclairer."
"Tous se retirèrent alors sans qu'aucune voix osât protester contre cette exécrable tyrannie, sans qu'un sentiment d'honneur s'élevât contre de si sanglants outrages.
Encore une fois il faut à de pareils actes le témoignage de l’histoire, pour
qu'on puisse y croire. Et cependant, alors même qu'on est obligé de les admettre
comme certains, ils restent incompréhensibles. Si la commune et le tribunal révolutionnaire
eussent obéit aux ordres de Carrier avec la passion et l’aveuglement d'hommes qui
poursuivent avec la même fureur une même pensée, on comprendrait leur férocité.
Mais ces hommes avaient horreur des excès dont ils étaient les instruments, ils
s’arrêtaient malgré leur terreur dans la voie sanglante où on les poussait, ils
comprenaient leurs crimes et les prenaient en horreur. Alors ils croyaient se
sentir le courage de ralentir cette terrible extermination dont ils étaient les
agents ; alors ils venaient frapper à coups redoublés à la porte de Carrier
pour lui faire entendre la vérité; ils y venaient décidés à mourir; mais une fois
en sa présence ils hésitaient, ils tremblaient ; les fureurs tragiques du tigre
les glaçaient d'effroi. Et cependant quel était leur suprême danger ? La mort. La
mort, ils l'avaient prévue, ce n'était donc pas de cela qu'ils avaient peur.
De quoi donc avaient-ils peur ? D’un homme ; oui, d'un homme, et surtout
d'un mot.
Voilà ce qui semble inexplicable, et voilà cependant ce qui est vrai : la
terreur régnait.... la terreur ! Quelque chose de bas, de rampant, de glacé qui
avertissait tous les cœurs, dégradait tous les courages, brisait toutes les volontés.
L'effroi que peut inspirer un monstre comme Carrier est indicible : c'est
le serpent vénéneux dont l'œil sanglant enlève au malheureux, qui le découvre près
de lui, la force de fuir et de se défendre. Et qu'on ne s'imagine pas que ce fût
là le sentiment de quelques-uns et de quelques instants ; toute la population nantaise
frémissait au nom de Carrier, ce dieu sanglant de la terreur.
Ce nom, on n'osait le prononcer dans le secret des familles ; il semblait
que les murs allaient s'écrouler et s'abattre sur la tête de ceux qui eussent parlé
du proconsul. Quinze ans après le passage sanglant de Carrier à Nantes et
lorsqu'il avait été puni de ses forfaits, ce souvenir était encore si puissant dans
l'esprit de ceux qui avaient survécu à cette effroyable tempête, que si un homme fût entré dans un salon en criant : Voici Carrier ! Tout le monde
eût pâli, et les femmes et les timides se fussent levés pour s'enfuir."
Cet extrait des 'Aventures de Saturnin Fichet' (Tome 7 pp 248 ...) a pour cadre les massacres de Nantes pendant la Terreur et particulièrement les 'noyades' où l'infâme Carrier à noyé environs 5000 personnes impunément sur un total d'environ 12000 massacrés par la guillotine, le fusil où le typhus, au nom de la République: Liberté, Egalité ... ou la Mort !!
En vérité, les plus grands crimes de l'humanité ont été commis au nom de la liberté, soit sur terre, soit au 'ciel' !!!
Et contrairement à ce qu'on peut penser, c'est une chose bien simple à expliquer ! Quand on cherche à réaliser l'impossible, on s'engage fatalement sur la voie de l'absurde. Ecoutons encore Frédéric Soulié:
"Ce qu'il y a de remarquable dans cette guerre étrange, c'est que la tyrannie, le despotisme, l'insolence, habitaient dans le camp des républicains en la personne des représentants du peuple qui commettaient les actes les plus arbitraires au nom de la liberté et de l'égalité, tandis que l'esprit d'égalité et de liberté dominait surtout dans le camp des royalistes où l'on se battait à vrai dire pour le rétablissement du pouvoir absolu et les privilèges abolis par la révolution."
Peut-il en être autrement quand l'esprit d'un enfant de dix ans suffirait à affirmer qu'il n'y a ni liberté, ni égalité possible pour l'homme dans quelque société que ce soit, passée, présente ou future. Oui, c'est en idolâtrant des chimères que l'on marche droit au précipice entraîné par des espoirs insensés. L'homme ne peut être libre, dépendant qu'il est de tous les autres comme il ne sera jamais l'égal de son frère par la seule raison que nous sommes tous différents et posés sur des degrés parfois très éloignés les uns des autres en capacités matérielles, morales et spirituelles. Vouloir que nous soyons tous libres et égaux est une gageure qui ne réussit jamais qu'à créer des tyrannies, des goulags et des prisons mentales. La liberté et l''égalité forcées ne peuvent que s'accomplir par un nivellement par le bas de toutes les aspirations de l'âme. Il ne pourra jamais y avoir de liberté et d'égalité parmi les hommes qu'en acceptant leurs différences et l'union volontaire qui doit s'en suivre par la compassion des forts pour les faibles, des riches pour les pauvres, par l'amour enfin, par l'oubli de soi au profit de tous, sans qu'il soit besoin d'aucune loi meurtrière, d'aucune volonté de pouvoir.
Ecoutons une dernière fois Mr Soulié !
"Le comité révolutionnaire de Nantes a appris votre arrestation et a exigé que vous fussiez transférée dans cette ville. Ne vous y trompez point, une condamnation inévitable vous y attend.
— Moi, lui dis-je, pourquoi?... pour avoir suivi mon père ?
— Votre obéissance aux ordres de votre père, que vous considérez comme une
vertu, vous sera comptée comme un crime. Vous vous direz innocente, et peut-être
au fond de leur âme quelques-uns de vos juges le penseront-ils, mais ils ne
vous épargneront pas pour cela.
Moi-même, ajouta-t-il avec une sombre expression, si au lieu de vous avoir
rencontrée au milieu du combat... je vous avais trouvée sur le banc des accusés...
je vous condamnerais; votre tête est nécessaire au salut de la patrie.
—Ma tête! La tête d'une femme!... m'écriai-je avec indignation.
— Les hommes qui veulent faire triompher la liberté, me répondit-il froidement,
ne sont pas tenus d'avoir de la générosité et de la pitié ; ils ne le peuvent pas,
ils ne le doivent pas. Lorsque les misérables chefs qui ont tenté cette insurrection sauront que ce n'est
pas seulement leur existence qu'ils jettent à ce terrible jeu, mais encore celle
de leurs femmes ou de leurs filles, ils deviendront moins empressés à lever l’étendard
de la révolte. Votre mort sera un avertissement que l’on voudra leur donner."
Ainsi tentait de s'expliquer l'auteur de l'une des périodes les plus sombres de l'histoire:
"Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur ; la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu."
'Discours sur les principes de morale politique', Robespierre, séance du 5 février 1794.
'L'infamie soufferte la veille rend moins pesante l'infamie du lendemain' (FS)
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